83 Jim

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Quatre jours plus tard.
Week-end de l'ascension.

Le feu passe au vert.

Après six heures de route en tête à tête, nous sommes presque arrivés à Sauternes, un charmant village du sud-ouest de la France, encerclé de vignes qui s'étendent à perte de vue. Le paysage est vallonné. Les vignes, entretenues et choyées par leurs propriétaires, sont délimitées par des kilomètres de petits murets en pierre.

Tandis que nous venons de quitter l'autoroute en direction du château de mon enfance, situé en plein milieu de la route des vins, je me retourne vers Hélène, assise juste à côté, sur le siège passager. Elle porte ses lunettes de soleil, je n'ai pas l'habitude de la voir avec des lunettes de soleil. Il faut dire qu'on n'est pas beaucoup sortis à cause du confinement. Ça lui va bien en tout cas. Avec son carré de soie noué autour du cou, on dirait une starlette de cinéma venue pour un tournage dans le Sauternais. Le sourire jusqu'aux oreilles, elle incline, exaltée, sa tête dans tous les sens. Un peu comme une chouette. Une mignonne et adorable chouette.

—Alors, ça te plaît ? la sortis-je de ses rêveries.

—J'adore, c'est vraiment trop beau. Quand je pense que tu as passé tous tes étés ici, c'est quand même plus sympa que Paris.

Elle soupire.

—Franchement, si le boulot me le permettait, j'aimerais beaucoup un jour partir vivre à la campagne, dans un endroit tel que celui-ci, paisible, verdoyant, sans bousculade.

Elle pose sa main sur ma cuisse. Je frissonne.

—Nous sommes bientôt arrivés. Oh là, regarde, on va passer sur le Ciron, c'est une rivière. On venait se baigner ici avec mes frères et mes cousins. Qu'est-ce qu'on a pu faire les zouaves ici, me remémoré-je, joyeux.

—Roh, trop bien. L'eau doit être froide par contre, non ?

—Glaciale, lui réponds-je, mort de rire.

—Haha, raconte-moi d'autres trucs, d'autres souvenirs d'enfance, je veux tout savoir.

Nostalgique, je lui montre alors du doigt la rangée de saules pleureurs en train d'apparaître au loin.

—Tu vois ces arbres ?

—Oui, ils sont magnifiques avec leurs branches qui tombent jusqu'au sol. C'est le même arbre que dans Pocahontas, grand-mère feuillage !

—Pocahontas ?

—Oui, le dessin animé Disney. Ne me dis pas que tu ne l'as jamais vu ? s'insurge t-elle, la voix stridente.

—Bah, je ne te le dis pas alors.

—Pff, toute une culture à refaire, me taquine t-elle.

—Moi, mon préféré, c'est Peter Pan de toute façon. Et il n'y a pas à discuter parce que c'est le meilleur, point barre.

—Hahaha, ce sale gamin qui ne veut pas grandir et affronter ses responsabilités ? N'importe quoi, le meilleur, c'est Mulan.

—Pourquoi, parce qu'elle est asiat ? demandé-je sans réfléchir, l'air de rien, mais vu la tête qu'elle tire soudain, j'aurais clairement mieux fait de me taire.

Elle retire sa main de ma cuisse et tourne la tête vers sa droite pour regarder à nouveau le paysage ensoleillé.

Putain Jim, qu'est-ce que tu peux être con, mon vieux, quand tu t'y mets ! me sermonné-je, blasé, en tapotant nerveusement le volant.

—Je suis désolé Hélène, c'était débile comme remarque.

—Et après quoi ? Tu vas me demander si je sais cuisiner les nems ? s'énerve t-elle à juste titre.

—Non, bien sûr que non.

—Je... je sais que tu me trouves belle, Jim. Et bien entendu, ça me flatte, ça me touche énormément car c'est génial de plaire à son... bloque t-elle, gênée.

—Copain ? Chéri ? Mec ? essayé-je de finir sa phrase.

—Oui voilà, ça me touche énormément de te plaire, que mon... copain me trouve canon. Sauf que moi, tu vois, je le déteste mon reflet dans le miroir et ce depuis toujours. Ces yeux, ces cheveux, me montre-elle l'air réellement dégoûté, ils viennent de lui tu comprends, ce salaud qui m'a abandonnée sciemment, sans aucun état d'âme, et qui a poussé ma mère au suicide. Et depuis, oh mon Dieu, si tu savais combien de fois on m'a demandé de quelle origine j'étais, si je savais parler Coréen et si je jouais du putain de piano !

Je fixe la route, lui jetant quelques œillades compressives entre deux virages.

J'ai beau vouloir lui répondre quelque chose de gentil, de tendre et compréhensif, j'ai conscience que le mal est déjà fait et qu'aucune des réponses que je pourrais trouver, même la plus empathique soit-elle, ne serait finalement appropriée.

Du coup, rempli de culpabilité, je préfère me taire et me concentrer sur la fin de l'itinéraire.

Peiné, je lui attrape amoureusement la main, un geste qu'alléluia, elle ne rejette pas, et qui semble nous réconforter tous les deux en un rien de temps.

—Mon préféré, c'est Mulan parce que c'est une femme forte, loyale, courageuse et qui n'a besoin de personne, marmonne t-elle après plusieurs minutes de silence.

A suivre... :-)

Confinée avec un Con finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant