96 Hélène

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J'inspire profondément, m'attendant au pire, forcément.

ça y est. Marceau s'apprête enfin à me raconter, à poser la pièce manquante du puzzle que j'essaie désespérément de compléter depuis que j'ai rencontré Jim, mon mystérieux colocataire et depuis peu, mon énigmatique petit ami.

—Ce soir-là, Gaspard, Thomas, le meilleur ami de Jim à l'époque, Sophia et Jim étaient apparemment invités à une fête. Mais Jim, qui était en pleine révision pour la dernière épreuve de son concours pour l'externat, a refusé d'y aller, sauf que les trois autres étaient totalement saouls et ils avaient même fumé de l'herbe. Gaspard lui a piqué les clés de sa voiture et Jim, vraiment énervé, n'a pas jugé bon de les empêcher d'y aller... Euh, il fait froid ou c'est moi, là ? se met-il à souffler sur ses doigts.

Je n'arrive même pas à lui répondre tant je suis concentrée et bois ses paroles.

Il s'arrête alors de parler quelques secondes pour allumer le chauffage de la voiture.

—Voilà. Désolé, mais je déteste avoir les mains gelées quand je conduis... Bref, Gaspard a continué de boire et de fumer le restant de la soirée, à la fête où ils sont allaient. Puis, ils ont tous les trois repris la voiture pour rentrer. C'était vers deux-trois heures du matin. Et Gaspard, d'après les témoignages de chacun, s'est retourné l'espace d'un bref instant pour parler à Sophia, assise sur la banquette arrière. Ce fut l'instant de trop. La voiture a dévié sur le trottoir et a percuté de plein fouet deux piétons. Un couple. Ils... Je suis désolé, c'est difficile pour moi de le raconter, se met-il à inspirer une grande goulée d'air.

—Je comprends si tu ne veux pas finir Marceau, je ne veux pas te rendre mal, je suis désolée, lui dis-je, la gorge serrée.

—Non non, au contraire, il faut que ça sorte et puis, je n'ai pas le droit de les oublier, d'imaginer que tout va bien. Car c'est faux ! Ils étaient innocents, au mauvais endroit au mauvais moment et mon petit frère, mon adorable petit frère qui n'aurait jamais fait de mal à une mouche, les a tués sur le coup. Mais je crois que ce qui a été le plus dur pour Jim, ce qui l'a bousillé, c'est qu'ils étaient parents. Ils avaient un petit garçon de trois ans. Lors du procès, le père de la maman a expliqué que c'était la première fois qu'elle osait laisser son petit garçon à une baby-sitter pour sortir enfin en tête-en-tête avec son compagnon. Ils étaient allés rejoindre des amis dans un bar, puis à la fermeture de celui-ci, ils sont rentrés à pieds chez eux. Ils étaient à huit cent mètres de leur maison, et ils... ils n'y sont jamais arrivés. Ils n'ont jamais revu leur petit garçon de trois ans, qu'ils avaient couché et bercé juste quelques heures avant.

Tétanisée sur le siège passager, je suis à deux doigts de fondre en larmes.

Cette histoire est tellement tragique, si horrible.

On ne peut pas être insensible à ce qui est arrivé à ce pauvre couple et à leur fils.

Ecouter ce genre de récit, bien sûr que ça tord les tripes, que ça brise le cœur.

C'est abominable, et je ne peux qu'espérer que ce courageux orphelin qui doit avoir aujourd'hui dans les six/sept ans a su trouver la paix et surtout un foyer aimant, comme j'ai eu la chance d'en avoir un auprès de ma grand-mère.

Je soupire, agrippée à ma ceinture. J'ai besoin de serrer un truc, de le serrer à m'en faire mal aux doigts, mes ongles s'enfonçant dans mes paumes.

Et voilà, Marceau vient de déposer au creux de ma main la pièce manquante du puzzle pour réussir enfin à comprendre Jim. Comprendre pourquoi il a abandonné ses études de médecine. Pourquoi il n'aime pas rester seul et pourquoi il a longtemps dû squatter chez son ami Pierrick après sa cure de désintox.

Et enfin, pourquoi il a fini par barricader son cœur...

—Jim s'est laissé tomber dans un trou sans fond quand il réalisé qu'il avait tué la maman de ce petit garçon, présent au procès, conclut Marceau après avoir pris plusieurs minutes pour se calmer. Pour Jim, qui avait juré sur la tombe de notre mère qu'il sauverait celles des autres, il a failli, il a taché de sang son serment d'Hippocrate.

—Mais il n'y est pour rien ! lancé-je soudain, révoltée.

—Oui, ça je le sais. Mais Jim est convaincu du contraire. Pour lui, tout est de sa faute. S'il avait repris les clés de sa voiture à son frère, ces gens-là seraient encore en vie. Il était le seul à ce moment-là qui n'avais pas bu ni fumé, le seul à avoir l'esprit clair et à savoir que Gaspard prenait forcément un risque en conduisant dans cet état. Mais il s'en est foutu, obsédé par son concours, et ça, il ne l'est jamais pardonné.

—Je... je comprends ce qu'il ressent, mais mettre à sac, pourrir sa propre existence ne ramènera pas ce pauvre couple à la vie.

—Encore une fois, je suis tout à fait d'accord avec toi. Surtout que bizarrement, il n'en a jamais voulu à Gaspard, il l'a toujours soutenu, au contraire. Je pense que pour lui, Gaspard n'étant pas lucide ce soir-là, il estime que c'était son rôle de grand frère de le protéger en lui interdisant d'aller à cette fête.

—Ouais, ça s'appelle l'effet papillon. C'est la chaîne d'événements qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant. Et oui, même qu'avec des « si » on pourrait refaire le monde, sauf que c'est impossible !

—Tiens, je me rappelle lui avoir dit ça un jour moi aussi à Jim, mais tu le connais, une fois qu'il a un truc de coincé dans le crâne...

—Si tu savais comme toute cette histoire me rend triste...

—Oui, c'est très triste. J'y pense encore tous les jours. Mais du coup, si je te l'ai racontée, c'est parce que tu vois, j'ai retrouvé mon petit frère ce week-end, le Jim d'avant, et ça, Hélène, c'est uniquement grâce à toi, j'en suis intimement persuadé. Après des années d'errance, tu es en train de lui redonner foi en l'avenir.

A suivre... :-)

Voilà, vous savez tout !!!! J'espère que ça vous a plu, j'avais ficelé cette intrigue dès que j'ai écrit les premières lignes de Confinée avec un Con fini parce que je devais créer mon fameux Con fini et savoir pourquoi c'était devenu un Con fini justement, hahahah !

Bonne soirée !

Confinée avec un Con finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant