92 Hélène

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Le lendemain matin.


Mon téléphone indique onze heure trente. Je vérifie pour la centième fois depuis la veille, depuis le départ précipité de Jim sans aucune explication, si mon réseau fonctionne correctement. Hélas, pas de doute possible. Il y a quatre barres pleines en haut à gauche de l'écran. Je soupire. La boule qui s'est installée hier soir dans ma gorge est toujours là. Elle a même grossi. Depuis que Jim s'est barré, je n'ai plus eu aucune nouvelle de lui.

Je m'apprête à remettre mon téléphone dans ma poche quand je reçois un message qui me fait vibrer le haut de la cuisse.

Enfin ! Mon cœur meurtri s'accélère.

Je récupère mon téléphone en manquant de le faire tomber par terre tant je suis stressée.

Fausse joie.

C'est un sms de Louise qui me demande comment s'est passé mon week-end en amoureux, suivi d'un émoticône clin d'œil et d'une aubergine.

J'ai envie de pleurer.

—Tu veux qu'on s'arrête à la prochaine aire d'autoroute pour prendre un café ? me demande Marceau, son pied posé sur l'accélérateur. Moi, j'en aurais bien besoin en tout cas.

Je me triture nerveusement les doigts.

—Je suis vraiment désolé d'avoir insisté pour partir plus tôt, mais je crois que j'ai choppé un virus, un truc, et vu que demain je bosse, je voudrais pouvoir me reposer avant, lui mentis-je. En tout cas, tes grands-parents sont géniaux, j'ai été ravie de les rencontrer, même si j'aurais souhaité les quitter dans de meilleures circonstances...

—Hum ? Tu sais Hélène, je ne veux pas me mêler des affaires de mon petit frère, ce n'est pas mon rôle et je déteste ça, mais je suis persuadé d'une chose, c'est que Jim tient réellement à toi. Il est parfois juste un peu maladroit et assez brut de décoffrage quand il s'y met.

—Un peu maladroit ? grogné-je malgré moi. Il m'a abandonnée sans explication chez tes grands-parents à vingt trois heures du soir pour rejoindre une nana. Je l'ai vu sur son téléphone. Une certaine Sophia !

—Bon, okay, dis comme ça, ça peut paraître louche et déprimant. Mais je suis sûr qu'il avait de bonnes raisons d'y aller.  

—Tu sais quelque chose que je ne sais pas ?

—Hum, non, il n'a pas voulu me dire non plus, mais je connais bien Sophia, et c'est définitivement terminé entre eux, je t'assure.

—Donc, Sophia est son ex ? marmonné-je, au bord des larmes.

—Ah mince, il ne t'en a jamais parlé ?

—Jim ne raconte pas son passé, sauf des petits souvenirs gentillets ici et là de votre enfance, mais pour le reste, c'est une vraie tombe, limite agressif si je me montre trop curieuse... Et je dois avouer que ça commence sérieusement à me peser, me confié-je à son frère aîné.

—Hum, oui, ça lui ressemble...

Mais je vois bien que cette discussion le met mal à l'aise. Et c'est normal, je le comprends, il veut protéger Jim et ne pas lui créer d'emmerdes. On se connaît à peine lui et moi, après tout...

Pensive, je ne peux pas m'empêcher de ruminer en revoyant Jim écarquiller les yeux lorsque je lui ai dit que je l'aimais. 

Honnêtement, je ne sais pas si je pourrais lui pardonner son comportement cette fois-ci, j'ai vraiment les boules, je n'ai pas dormi de la nuit, partagée entre l'angoisse qu'il lui arrive un accident sur la route et l'envie irrépressible de l'insulter par message vocal.

—Encore une fois, je ne veux pas me mêler de vos histoires, mais je pense qu'il est vraiment heureux avec toi. Laisse-lui le temps. Il revient de loin, je... je ne l'avais plus revu sourire comme ça depuis... hésite t-il comme s'il n'avait pas le droit de continuer.

—Depuis ? Depuis quoi, bon sang ? insisté-je, trop énervée pour rester discrète et polie.

—Depuis cette terrible nuit, prononce t-il tristement.

—Tu parles de votre maman ? osé-je demander.

J'ai tellement d'interrogations en suspens depuis que j'ai rencontré Jim, que là, je craque, j'ai envie de tout savoir d'un coup.

—Non. Jim avait dix sept ans quand maman est décédée des suites de son cancer. D'ailleurs, c'est pour ça qu'il est devenu obsédé par ses études de médecine et son futur tout tracé en cancérologie. Il voulait sauver les mères des autres. Je crois d'ailleurs qu'il se l'est juré le jour de l'enterrement. Et comme tu commences un peu à connaître le phénomène, il s'est carrément barré en pleine cérémonie pour aller se faire tatouer le Caducée. Tu sais, le symbole de la médecine. Je pense que tu l'as vu, il est sur son torse.

—Oui. Et le rouge de tatoué par-dessus ? C'était en même temps ?

—Tu es perspicace. Non, il l'a fait faire il y a trois ans justement, à la fin du procès de Gaspard, lors de son verdict. C'est là qu'il a décidé de tout arrêter, d'abandonner ses études. Je l'ai vu sombrer Hélène, et personne, je dis bien personne, pas même sa petite amie de l'époque, Sophia, n'a pu le sauver. Il s'est réfugié dans... les antidépresseurs, jusqu'à ce que mes grands-parents se rendent compte qu'il était en train de bousiller lui aussi sa vie, qu'il se mettait en danger. Ils l'ont alors viré de l'appartement qu'ils lui avaient prêté depuis le début de ses études de médecine et l'ont forcé à suivre une cure pendant trois mois dans un institut spécialisé.

—Une cure ?

—De désintox.

Je frissonne.

—Un jour, ça m'a marqué, j'ai eu le droit d'aller lui rendre visite. Il était sobre bien sûr mais on aurait quand même dit qu'il était en train de perdre la tête. Il m'a alors répété en boucle qu'il avait violé le serment d'Hippocrate, que tout était de sa faute si le sang avait coulé, qu'il ne pourrait jamais vivre avec ce drame sur la conscience, me raconte t-il, le regard effacé.

—C'est affreux, je... le pauvre. Il... il paraît pourtant tellement joyeux aux premiers abords, avec ses blagues vaseuses et ses sourires taquins.

J'ai mal au ventre en imaginant Jim accro aux antidépresseurs.

Moi qui ne désirais plus qu'une seule chose en rentrant sur Paris. Le virer de l'appartement tel un malpropre pour qu'il comprenne à quel point il m'avait manqué de respect, à quel point je me sentais comme une moins que rien, hier soir, seule dans ses draps froissés, abandonnée dans une maison que je connais à peine, à six heures de route de mes repères, de chez moi...

Me voilà à présent totalement perdue.

A suivre...

Confinée avec un Con finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant