34 Hélène

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A bout de nerfs, je claque la porte de ma chambre avant de fondre en sanglots. Jim est si fourbe, si rentre-dedans et narcissique.

Il se prend pour qui, ce zéro pointé ?

Au moins, Paul a eu la décence de jouer un personnage romantique avant de faire tomber le masque et de se barrer sournoisement sans me donner de nouvelle du jour au lendemain.

Jim, lui, est un gros bourrin qui ose tout et n'a peur de rien. On dirait qu'il n'a aucun filtre, aucune retenue. Il m'aguiche, tourne autour de moi comme si j'étais son innocente petite proie fragile.

Je refuse d'être sa proie, je l'emmerde moi, Jim !

Je l'emmerde comme j'emmerde Paul. Et surtout, comme j'emmerde mon géniteur, parti lâchement avant même ma naissance, dans son pays lointain où un homme de sa condition ne peut pas s'afficher en couple avec une étrangère rencontrée lors de ses études supérieures à Paris.

Et voilà comment aux yeux de l'Etat Français, je suis née sans père et n'en aurais jamais. Voilà ce qu'il y a écrit en gros sur mon carnet de santé : Rien. Un grand vide à la place du nom du père, un grand vide qui a poussé ma mère à se jeter du sixième étage.

Je m'assois sur mon lit, face à mon miroir sur pied. Mon mascara a légèrement coulé. Je fixe mon reflet, en colère. Ce reflet me rappelle chaque jour que je ne suis qu'à moitié française et que le physique de mon géniteur a pris le dessus sur les gènes de ma mère. C'est quand même dingue ! Je ne connais rien de lui, ni de sa famille. J'ai grandi avec tout un pan de mon arbre généalogique gommé, inexistant. Et pourtant, lorsqu'on me regarde, on me demande constamment de quelle origine je suis.

Alors que je pensais m'être enfin calmée, les larmes recommencent à couler...

Ô bien sûr, je ne le saurais jamais et ma grand-mère m'a toujours soutenu le contraire, mais c'est plus fort que moi, je ne peux pas m'empêcher de penser que si ma mère s'est donné la mort le veille de mes un an, c'est entièrement de ma faute. Moi, cette enfant non désirée, son portrait craché, celle qui lui rappelait à quel point elle avait été trahie, brisée par l'homme qu'elle avait tant aimé et qui l'avait forcée à m'assumer seule, au détriment de ses études et de ses propres rêves. Décidément, j'en ai brisé beaucoup des destinés, juste en naissant.

Je renifle bruyamment.

Bon, Hélène, il faut que tu te calmes ! Tu connais ton histoire, et pleurer une énième fois dessus ne la changera jamais.

Je détourne mes yeux bridés de mon reflet, à la recherche d'un paquet de mouchoirs dans le tiroir de ma table de chevet. J'ai froid, je me blottis sous ma couette comme un chaton apeuré dans le pelage de sa mère. Sauf que la mienne n'est plus là et que je ne m'en souviens même pas.

Oh non, ça recommence !

Je sens ma gorge se nouer, mes lèvres se mettent à trembler.

Inspire. Expire. Inspire. Expire...

Lorsque je récupère mon téléphone portable pour regarder l'heure, il est bientôt 21h. Déjà ! J'ai faim, super faim même. Mais je suis incapable de ressortir de ma chambre pour faire face à Jim, qui doit être un peu paumé, tout seul dans la cuisine.

Maintenant que la crise est passée, je réalise, honteuse, que je me suis peut-être un peu trop vite emportée. Quand je me repasse la scène en boucle dans la tête, et en particulier sa dernière tirade, je me dis qu'il a juste sorti la blague de trop, celle qui n'est pas passée, et ça m'a alors fait péter un câble. Le truc, c'est que Jim n'est pas au courant de ma vie, de mon passé et mes traumatismes.

Comment lui en vouloir pour son ignorance ?

Nous nous connaissons que depuis trois jours. Trois minuscules jours.

Je l'attire, il m'attire, certes, mais finalement, moi non plus, je ne sais absolument rien de lui, de sa vie, de son passé ni peut-être de ses propres fêlures. Et si elles étaient plus larges et profondes que les miennes ?

Je n'aurais pas dû m'emporter ce soir, je m'en veux.

Et voilà que je me retrouve coincée dans ma chambre pendant que lui va manger son rougail saucisse tout seul comme un con.

Ce n'est pas du tout l'idée que je m'étais faite de cette première vraie soirée entre colocataires.

Mais comme je foire la plupart de mes interactions sociales et que j'ai bien l'impression qu'il n'y a que Louise pour arriver à me supporter depuis toutes ces années, je vais rester cachée sous ma couette à réfléchir à comment ressortir un jour de là, la tête haute.

Ou sinon, je peux toujours l'éviter en partant le matin très tôt au boulot et en rentrant très tard le soir... 

A suivre...

Prochain chapitre, Jim... :-) 


Confinée avec un Con finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant