43 | Fulgurante agonie

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Il semblerait que l'on puisse pleurer même lorsque nous sommes inconscients. Drogués. Plongés dans le néant contre notre gré. Oui... puisque je sens mon visage mouillé et ma respiration hésitante. Ce geste de Luke... un coup bas d'une telle ampleur... aurais-je dû l'anticiper ? Si je l'avais fait. cela aurait-il changé quelque chose ? De toute façon... est-il utile de ressasser à ce sujet ?

Non.

Non.

En effet. Car si je pouvais modifier quoi que ce soit s'étant produit ces dernières heures, je serais descendue pour jouer seule. Si je m'étais abstenue de demander à Mia de m'accompagner...

Ne prends pas ce chemin, Charlie.

Bien sûr que si !

Comment faire différemment ? Maintenant que j'émerge lentement de ma torpeur, plongée dans l'insupportable confort de mon lit... est-il possible de me sentir autrement que coupable ? À présent que je garde obstinément mes paupières closes alors que je suis en état de les rouvrir... de quelle façon puis-je faire face ?

Pardonne-moi je t'en supplie !

Étant donné que je serai incapable de le faire moi-même...

— Bon retour parmi nous, déclare le bras droit de Lucifer de son intolérable voix placide.

Toi.

Ravalant un gémissement douloureux, je me recroqueville en lui tournant le dos, démolie. J'entends son lent soupir, sentant mon matelas s'affaisser sous son poids pendant qu'il s'y assoie. Mon corps se crispant brutalement lorsque sa paume rejoint mon épaule pour la presser, je retiens mon souffle.

Comment. Oses. Tu ?!

— Je sais que tu es en colère, analyse-t-il, toutefois nous ne pouvions nous permettre de rester là-bas plus longtemps.

Me redressant vivement pour échapper à son contact, j'occulte ma peine physique en pivotant pour l'affronter, plantant mon regard meurtri dans le sien.

Pour qui me prends-tu ?!

— Ce n'est pas de la colère que j'éprouve, Luke, exhalé-je péniblement, soutenant l'intensité de ses iris me scrutant sans vergogne.

Je n'ai guère de temps à perdre avec ce sentiment pour le moment.

Oui. Qu'importe la rancœur que je peux ressentir à son égard, il y a autre chose la surpassant de loin. Pour faire simple et sans surprise, je suis démolie. Morcelée. Anéantie.

— C'était ma seule chance de lui dire au revoir, articulé-je d'une voix faible, laissant une nouvelle larme rouler sur ma joue humide.

Tu me l'as volée !

Comme de coutume dans cet impitoyable clan, il n'y aura pas de cérémonie. Aucun hommage. Nul lieu où elle reposera pour que je puisse aller me recueillir afin d'exprimer tout ce que j'aurais voulu lui confier. Demain elle sera probablement déjà remplacée et ce sera comme si elle n'avait jamais existé.

— De lui présenter mes excuses, gémis-je, perdant le peu de sang-froid qu'il me restait.

Effondrée, je ne réalise pas qu'il m'attire dans une étreinte étrangement rassurante. Enveloppante. Réconfortante. Que ses doigts glissent dans mes cheveux avec une douceur dont je n'aurais jamais pu soupçonner l'existence. Non. Éclatant en sanglots, je ne vois ni ne ressens rien d'autre que cette fulgurante agonie. Brisée, le désespoir l'emporte sur le reste, le calvaire étant plus puissant que tout. Alors les secondes passent. Les minutes, peut-être même. Mes phalanges crispées sur sa chemise, mon visage enfoui dans son cou, je pleure. Mes paumes rejoignant sa nuque, la barbe ornant sa mâchoire griffant mon nez, je me blâme. Agrippée à son cou au-delà de toute rationalité, j'en ai oublié que c'est lui. Je crois. Si j'en avais eu conscience jamais je n'aurais eu ces gestes, n'est-ce pas ? Car je lui en veux, non ? Que nous sommes incapables d'avoir une relation saine, hein ? Quoi qu'il en soit, la réalité veut que les choses se passent ainsi. Qu'il me rallonge avec précaution et que je demeure blottie contre la chaleur de son corps en me rendormant, harassée. Usée. Accablée.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant