60 | Calvaire émotionnel

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Je crois que je pourrais passer ma vie à veiller sur son sommeil, dites-vous. La première fois c'est arrivé par hasard – façon de parler car je l'ai souhaité, c'est vrai, à lui proposer un film au milieu de la nuit – mais lorsque je me suis réveillé, ce fut la confirmation d'à quel point j'étais foutu. L'évidence que je refusais obstinément d'admettre. J'étais mordu. Accro. Dépendant de ce souffle balayant innocemment ma peau, ignorant son pouvoir. À tel point que les minutes passées à la contempler sont devenues des heures d'une sérénité méconnue. Pourtant j'avais lutté, vous savez. Ai réellement voulu la détester puisqu'elle est la fille de l'homme ayant...

Putain. Qui étais-tu réellement ?

Même cette haine ancrée depuis vingt-trois ans, elle l'aura ébranlée. Remise en question. Inconsciente de déjouer chacune de mes tentatives de la garder vivace. Sans l'ombre d'un effort, au rythme de ses délicats doigts virevoltants sur les touches d'un piano, ses cheveux retenus à l'aide d'un ruban illustrant sa candeur. Le nez plongé dans un livre de littérature classique, ou esquissant quelques pas de danse habillée de toute sa grâce. Prenant soin des autres, aussi. S'en souciant sans faux-semblants. Exposant sa vulnérabilité, ses failles, laissant battre ses cils pour refouler sa douleur, autorisant parfois ses lèvres à dessiner l'ébauche d'un sourire sincère. Adorable. Irradiant de pureté. Femme enfant contrastant avec ce sombre univers dans lequel elle s'est enlisée. Et lorsqu'elle s'est blottie dans mon cou, liant instinctivement ses jambes aux miennes...

Tu m'as définitivement eu, princesse.

Les premières semaines de ce calvaire émotionnel, j'y ai d'abord vu une entrave à ma vocation. Un obstacle à la poursuite de l'objectif fixé par mes supérieurs, celui me permettant d'atteindre au plus près le mien. En réalité, j'ai eu tant de fois la possibilité de l'emporter en toute simplicité, sa gorge étant juste là, à portée de main. Sauf qu'en vérité, j'ai seulement eu envie de l'embrasser, la toucher, puis de la protéger envers et contre tout. La préserver. Viscéralement. À en avoir mal. En devenir fou. Dangereux.

C'est te sauver, ma mission désormais.

J'aime autant que je déteste la tirer des méandres agités de ses cauchemars. Il m'est facile de vous l'affirmer, l'ayant fait toute la nuit comme d'autres avant. Honnêtement, j'ai en horreur de la voir souffrir, toutefois suis heureux de constater avec quelle facilité elle s'apaise sous mes doigts. Mes chuchotements au creux de son oreille. Je dois garder mes distances, je le sais, pourtant je suis incapable de m'en empêcher. Cette bouille angélique est une drogue, voyez-vous. Tout en elle me fait irrémédiablement flancher, mettant si souvent à terre ma volonté que c'est à se demander si cette dernière a déjà existée.

Tu l'as vaincue en un murmure, mon ange.

La sentant remuer, je devine qu'elle s'éveille enfin donc me redresse aussitôt, me doutant qu'elle ne sera guère ravie de me trouver entre ses draps dans le cas où elle a oublié sa fin de soirée. Ce qui est fort probable, vu l'état dans lequel elle s'est mise. Franchement ? Je crève toujours d'envie de l'engueuler, ignorant si je saurai me l'interdire.

— Garde les yeux fermés pour l'instant et avale ça, commencé-je placidement alors qu'elle tente péniblement de s'asseoir, portant une paume à son front en grimaçant.

Que cette gueule de bois te serve de leçon !

Bien entendu elle sursaute, donc heureusement que je suis celui ayant le verre à la main, cette fois. Glissant un comprimé de paracétamol entre ses lèvres déshydratées, j'ai la surprise de constater à quel point elle se montre docile, se contentant de l'ingérer avec une gorgée du jus de citron – préparé un peu plus tôt – sans chercher à vérifier ce que je lui donne. Mon pouls s'agite, emporté par une bouffée d'espoir, mes doigts glissant impulsivement sur sa nuque afin de l'aider. Pas seulement. Évidemment, j'ai – encore – craqué.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant