Assise face à la rue, j'observe distraitement les gouttes sillonnant la vitrine. La pluie a repris et, j'ai les yeux dans le vague. Ils sont probablement quelque peu rouges, gonflés aussi, toutefois je ne m'en préoccupe guère. Il n'y a rien de plus cliché que de manger de la crème glacée pendant un chagrin, après tout. Portant la petite cuillère en bois à ma bouche, je pense.
J'attends le soleil, papa.
J'ai de nouveau été en proie à une bouffée de colère – de rejet impulsif – vous savez. Sauf qu'au fond, j'ignore vers quoi ma rancœur est réellement dirigée. Toute cette vie, sûrement. Autrement, comment expliquer que Luke soit capable de me faire perdre pied en seulement quelques mots ? Mon casque Marshall vissé sur le crâne, je me laisse bercer par les accords de la version acoustique de « Flames » – par Boy – retenant très mal une expiration douloureuse. Car les paroles font écho, sûrement. Parce que j'aurais voulu être capable de soulager mon père de ses démons, c'est sûr. Le sauver, sans l'ombre d'un doute. Comment aurait tourné ma vie, si j'y étais parvenue ? Peter aurait-il malgré tout fait main basse sur mon libre-arbitre ? Je n'aurai pas les réponses puisque je ne poserai jamais les questions. Je ne veux nullement prendre le risque qu'elles soient trop dures à encaisser. Non. À la place, je préfère rêver à une vie alternative dans laquelle je serais libre. Heureuse. Sans crainte. Loin de la peur et de la violence. Protégée de la manipulation. Celle où je passerais mes journées à l'école au milieu d'élèves – plus ou moins – curieux, rentrant le soir dans cette petite maison que j'ai tant imaginée. Espérée. Pour y retrouver ma famille. Soudée. Des amis que j'aurais pris le temps de garder – j'ai officiellement démissionné de mon poste, rompant le contact avec la poignée que j'avais – ou un homme que j'aimerais, peut-être ? Mon pendentif entre mes doigts, un nœud se formant dans ma gorge, je laisse la glace fondre lentement sur ma langue. C'est donc sans surprise que je manque de m'étrangler lorsqu'une ombre se dresse devant moi.
Pu-naise.
Levant la tête, je croise un éclat assassin – très – mal contenu, ne retenant pas un soupir désabusé en retirant mes écouteurs.
— Tu viens me réprimander, j'imagine ? marmonné-je, m'enfonçant dans mon siège pendant qu'il s'assoit sur celui juste en face.
— Je garde ça pour lorsque nous serons en privé, gronde froidement Luke en posant ses coudes sur la table, se penchant dangereusement dans ma direction. Mais sache que réprimander est un mot trop faible.
Ai-je l'air d'une idiote ? Sache que j'essaye juste de rester polie.
Ses iris assombris sont plantés dans les miens, sa mâchoire contractée, le rythme de sa respiration rapide. La menace est claire, pourtant je n'ai aucune réaction. Sincèrement, je serai incapable de mobiliser l'énergie requise pour un affrontement avant un moment.
Je suis fatiguée de ce jeu, Luke.
— Tu prends plaisir à me défier ? s'agace-t-il à voix basse. Ou une simple consigne est-elle trop difficile à comprendre pour toi ?!
À ton avis ?
Jetant un coup d'œil à son Audi garée de l'autre côté de la rue, je porte une nouvelle cuillerée à mes lèvres, ravalant un accès de larmes au profit d'un nouveau d'honnêteté. C'est ce que je suis, après tout.
— Je prends plaisir à te défier, chuchoté-je d'un ton amer, affrontant ses yeux furieux. D'ailleurs, peut-être aurais-je moins envie de le faire si tu apprenais simplement l'usage du « s'il te plait ». Pourtant, là, j'avais avant tout envie de sucre.
Il se carre contre le dossier, croisant les bras sur son torse en fronçant les sourcils.
Vas-y, crache ton venin.
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Après la pluie
RomanceAyant vécu une enfance teintée de galères, Charlie n'a nullement ménagé ses efforts afin de mettre sa vie sur les rails de la sérénité. Aspirant à un futur fait de bonheurs simples, elle voit son rêve voler en éclats d'un seul coup de téléphone. « D...