14 | Des émotions pour deux.

549 78 6
                                    

Je suis allée me coucher le cœur plus léger, dites-vous. Bien sûr, j'ignore comment interpréter le comportement de Luke, puisqu'il n'a ni accepté ni rejeté mes excuses. Après son départ, je suis restée quelques minutes figée, tentant de déchiffrer ses gestes ainsi que ses mots, en vain. Néanmoins, j'ai pu m'exprimer en toute transparence – le principal à mes yeux – et sa réaction ne m'a même pas effrayée. C'est bon signe, non ? Bon. Ok. Il n'en a eu aucune. De réaction. Semblant uniquement chercher une faille dans ma sincérité. Je crois. Sauf qu'il ne pourra jamais en trouver, puisque j'ai été honnête. Quoi qu'il en soit, « rien » est mieux que quelque chose de négatif, je suppose. Maintenant que je m'étire en ouvrant les paupières, je me surprends d'ailleurs à penser à lui. Hier soir, nous étions silencieux, cependant nous avons partagé un moment que je qualifierais de plaisant. En dépit des heurts déjà connus... Bien qu'il soit un homme et que nous étions seuls... L'espace d'un instant, je me suis sentie sereine.

Était-ce ton cas aussi ?

Il m'est impossible de répondre à cette question, cet homme étant souvent inexpressif. Nous étions là à nous observer – une boîte de gratin de macaronis au milieu – ce qui était hautement improbable. Vous rendez-vous compte qu'il a su compléter la citation que j'ai choisi ? J'avais cru qu'il feignait un intérêt faussement poli, mais il m'a clairement prise par surprise.

Agréablement.

J'esquisse un sourire en me glissant sous ma douche, puis enfile une blouse en dentelle blanche sur un jeans taille haute avant de chausser mon éternelle paire de Converse. Le dimanche est plutôt calme, par ici. Je pourrais presque croire que j'évolue dans un environnement classique quand la torpeur perdure toute la matinée, s'estompant au fil des heures. Yun et Lys sont devant un copieux petit déjeuner lorsque j'entre, assises face à Noah et Jackson.

— Bonjour, les salué-je, me dirigeant vers le placard pour prendre un verre.

Ils me répondent distraitement, mais je ne suis guère étonnée. C'est même surprenant qu'ils soient déjà là alors qu'il n'est que huit heures.

Es-tu sûre, Charlie ?

Hum.

Tout compte fait – maintenant que j'avise leur tenue – je suppose qu'ils viennent de finir leur soirée, prévoyant d'aller se coucher au moment où je partirai me promener. Effleurant le pansement protégeant la coupure de mon pouce, je me félicite de réussir à couper mon citron sans une seule effusion de sang, cette fois.

— Tu devrais poser ce couteau, intervient quand même l'implacable voix de Luke dans mon dos, sa paume stoppant le dérapage qu'il a provoqué en me faisant – encore – sursauter.

Pu-naise.

Qu'est-ce que je disais ? me raille-t-il tandis que je me heurte à l'arrogance dont il s'est paré.

Ah. Ai-je seulement rêvé ce moment que nous avons partagé sans nous haïr ?

— Si tu pouvais éviter de me surprendre lorsque j'en ai un à la main, rétorqué-je d'une fausse indifférence, ce serait plus sûr.

Y compris pour toi.

Il laisse filtrer un rire léger dont j'ignore s'il est charmant ou détestable – peut-être les deux – s'éloignant pour attraper une tasse après me l'avoir ôté des doigts.

Ai-je l'air d'avoir deux ans ?

Je m'apprête à protester, mais il est rejoint par une – jolie – femme – brune, trentenaire, portant clairement sa robe de la veille – se collant à lui avec langueur tout en me jaugeant avec nervosité.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant