36 | Altération du jugement

486 69 8
                                    

C'est un rituel, pour Peter Alvarez, de prendre quelques jours de repos dans son manoir – sa forteresse – située près de Bloomington afin de fêter la nouvelle année. Le lieu est sublime. Il s'agit d'une propriété immense, un écrin de verdure entouré de hauts murs, calme et apaisant en dépit du contexte. Du fait qu'il s'agit malgré tout d'une autre version de ma prison dorée. J'avais espéré que mon oncle laisse son bras droit aux commandes à Chicago — comme Luis l'année dernière – sauf que ce dernier fait – malheureusement – parti du voyage. Lucifer m'a d'ailleurs commandé de monter dans son véhicule et – évidemment – j'ai obtempéré à contrecœur. Proposant à Mia de prendre place à l'avant, j'ai enfilé mon casque dans une moue trop placide pour être crédible, m'installant sur la banquette en cuir sans piper le moindre mot supplémentaire. Néanmoins Luke n'a nullement relevé mon attitude – cette fois – donc j'ai lancé « Sound of War » – par Tommee Profitt & Fleurie – avec un soulagement évident. L'attention vissée sur l'extérieur, j'ai tenté de fixer le paysage enneigé pendant les deux heures de notre trajet. Mes yeux déviant irrémédiablement vers lui à plusieurs reprises, j'ai si souvent rencontré les siens dans le rétroviseur intérieur que je me suis demandé s'il était doté d'un sixième sens avant de me précipiter hors de son Audi à peine le moteur arrêté. Troublée, agacée, j'ai abandonné ma valise dans ma chambre, tentant d'oublier l'état de choc dans lequel je me trouvais lors de ma dernière visite ici. Remarquant l'étang gelé, j'ai attrapé mes patins suspendus à l'armoire, les jetant négligemment sur mon épaule après avoir enfilé une tenue confortable. J'avais besoin de me défouler, voyez-vous. Calmer les stupides battements de mon cœur, aussi.

Pu-naise.

Ouais, tu crains Charlie.

***

Voilà de longues minutes que je laisse mes lames glisser avec aisance, concentrée. Longeant la rive, je contemple le brouillard expiré sans retenir un léger sourire. Parce que je me souviens de mon enthousiasme passé lors de ces moments partagés avec mon père. Ailleurs. Dans cette autre vie que je tente de garder en mémoire. Enfant, j'ai appris à patiner avec lui alors pense à nos instants heureux. Au bout du compte, c'est la gorge nouée que je m'arrête pour contempler les sublimes lueurs du crépuscule s'offrant à ma vue. La couleur orangée teintée de violet du ciel me subjugue comme à son habitude, parvenant à m'apaiser quelque peu. Mais pas assez.

— Hey, Cha ! Tu aurais dû me dire que tu sortais ! râle Mia, passant à côté.

Comme souvent lorsque je suis coupée dans le fil de mes pensées, je sursaute, faisant un tour sur moi-même – manquant de perdre l'équilibre – pour aviser les alentours. Noah – posté à l'une des fenêtres du salon en soufflant dans ses paumes – semble se demander ce que nous faisons dehors par ce froid et Luke nous étudie depuis la terrasse à seulement quelques mètres.

Pu-naise.

Détestant l'idée qu'il ait encore pu m'observer à mon insu, je décide de feindre l'ignorance en reportant mon attention sur mon amie, ravie par l'idée de partager un bon moment avec elle, occultant l'éternel trouble que je ressens. Pourtant...

Nom d'une pipe !

— Reviens ! ordonné-je fébrilement, réalisant son emplacement. La glace est trop instable au milieu !

Elle est grise, Mia !

— Ne t'inquiète pas ! affirme-t-elle avec désinvolture, s'arrêtant pour me toiser.

N'as-tu rien retenu de mes explications ?!

— Je suis sérieuse, insisté-je. Inutile de prendre des risques !

À la seconde où un craquement se fait entendre, la jeune femme perd sa moue rieuse et se crispe, retenant sa respiration.

Non !

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant