Prologue

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Vous vous êtes probablement déjà dit que votre journée ne pourrait être plus difficile que celle que vous êtes en train de vivre. Honnêtement, je ne saurais que vous conseiller d'éviter d'avoir ce genre de pensées. Cependant – puisque je jouerai la carte de la sincérité avec vous – je ne vais pas mentir, cela m'est arrivé aussi. Ensuite la vie s'est chargée de m'apprendre cette leçon. Enfin... Disons plutôt qu'il l'a fait. Désormais je sais que ça peut toujours être pire. Croyez-moi, vous pouvez me prendre au sérieux. Pourquoi ? D'accord, si vous voulez des détails, je suis prête à vous en donner quelques-uns. Mais avant, revenons en arrière, voulez-vous bien ? Car pour comprendre mon histoire, vous allez avoir besoin du contexte.

***

La dernière fois que j'ai esquissé cette stupide idée, je venais juste de finir d'essuyer le tableau de ma classe. C'était il y a deux ans. Ma journée de travail touchait à sa fin, mes craies étaient rangées, la salle – plus ou moins – en ordre. Oui, j'étais tout simplement une jeune institutrice en début de carrière. Aussi motivée qu'optimiste. Enthousiaste et souriante. Comprenez que j'avais travaillé dur pour en arriver là. Élevée par une mère dans la galère dont j'ai toujours été proche, j'ai cumulé de nombreux petits boulots pour financer mes études. Fermant mon sac, jetant un coup d'œil par la fenêtre – d'où filtrait les échos d'une averse automnale et les rires des enfants sautant dans les flaques – je voyais enfin le bout du tunnel. La sérénité. Mon objectif était simple, à cette seconde. Clair. Limpide. Je ne voulais rien de plus qu'économiser assez d'argent pour acheter une petite maison en banlieue et que nous nous y installions. Pourtant à la suivante mon téléphone a sonné, annonçant le début de ma chute en direction des enfers.

***

Un homme peut à la fois avoir des vices – des addictions – mais être quand même bon, vous savez. C'est ce que j'ai toujours pensé de mon père. Malgré l'alcoolisme dont il n'a jamais su se défaire ainsi qu'une tendance à abuser des jeux d'argent, il nous a inlassablement traitées avec autant d'amour que de bienveillance. S'il avait été un monstre violent, cela aurait-il été plus simple ? S'il nous avait maltraitées ? Au fond, je sais que ma situation – aujourd'hui – serait quand même à l'identique. Néanmoins, peut-être l'aurais-je haï et se faisant, serait habitée par davantage de rage que de crainte. Je n'aurai jamais la réponse à cette question, hélas. Toujours est-il que lorsque la prison – Cook County – dans laquelle il a été incarcéré – lorsque j'avais dix ans, officiellement pour avoir trempé dans le trafic de stupéfiants afin de régler ses dettes – m'a appelée – à cette seconde là, rappelez-vous – me faisant part de son décès, mon cœur s'est arrêté. J'ai glissé sur ma chaise, assimilant la violence des mots prononcés par le directeur en retenant mon souffle, encaissant ses explications au sujet d'une banale altercation entre détenus ayant mal tournée. Après avoir raccroché, j'ai laissé mes larmes couler un long moment, puis c'est là que j'ai pensé...

Ça ne pourrait pas être pire.

Vous le savez déjà, la vie a fait le reste pour m'apprendre que si. Enfin... Il l'a fait. Cet homme dont j'ignorais tout s'étant mis au milieu de mon chemin quelques heures plus tard.

***

Ayant – vainement – essuyé mes joues, j'ai eu le temps de réfléchir à la façon d'annoncer cette nouvelle à ma mère pendant le trajet du retour jusqu'à chez nous. Je suis rentrée à pieds – ignorant l'averse – afin d'avoir le temps d'y songer. Elle l'aimait toujours, dites-vous. Comme moi. Malgré les années. En dépit de ses innombrables erreurs ainsi que de ses travers. S'il avait été mauvais, cela aurait-il été plus simple pour elle ? Nous ? Sauf qu'il ne l'était guère alors la question est inutile. Il était cet homme fragile ayant voulu s'affranchir d'une famille – dont il refusait de parler – l'ayant brisé. J'avais vaguement la notion d'un grand frère, c'est tout. Tournant au coin de ma rue, j'ai eu une pensée pour cet individu, me demandant si j'allais finalement le rencontrer à l'occasion des funérailles. Au bout du compte je l'ai chassée, supposant que de toute façon il ne serait jamais informé de cette terrible nouvelle et que j'ignorais comment le joindre moi-même. Perdue parmi les méandres de mes pérégrinations douloureuses, j'ai relevé le menton pour observer les nuages. Lorsque j'étais petite – râlant au sujet de la météo m'empêchant de jouer dans la rue – papa me demandait toujours :

— Mais qu'y a-t-il après la pluie, Charlie ?

Je poussais un soupir avant d'affirmer dans un sourire :

— Le soleil, papa.

C'était lui, celui de mon existence. Il disparaissait le soir en suivant le rythme de l'astre du ciel, après tout. Réapparaissait le matin sans que nous ne sachions où il était allé – même si clairement pas de l'autre côté de la terre – posant un baiser dans mes cheveux tandis que je partais à l'école. Jusqu'au jour où il n'est plus rentré. Réalisant que désormais il ne reviendrait jamais, je n'ai guère remarqué les berlines garées devant mon immeuble, ni les hommes aux regards sombres me dévisageant à présent que je franchissais la porte, mes vêtements collés à la peau et les yeux hagards. Peu importe au fond, car jamais je n'aurais pu me douter de ce qui m'attendait dans mon salon. Qu'ils étaient là pour moi. Qu'il était ici afin de venir me chercher. Vous savez, cet oncle inconnu. Peter Alvarez. Celui m'ayant appris cette leçon que j'essaye de vous transmettre. Le boss de la mafia de Chicago.

***

Un homme peut-il être à la fois le diable et bon ? Je n'irai pas jusque là. À ses côtés, même recouverte d'éclaboussures de sang en enjambant un cadavre pour sortir, j'ai la conviction que cela pourrait être pire. Me croyez-vous maintenant ?

***

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant