64 | À voix haute

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Les doigts virevoltants sur le clavier du piano du club, je joue « I giorno » – de Ludovico Einaudi, toujours lui, oui – une réunion informelle semblant se dérouler près du bar. Je le sais, car ce dernier n'est plus dans mon dos. Pour tout vous dire, Elijah s'est récemment occupé de faire tourner l'instrument dans l'autre sens afin de – je cite – « mieux me voir ». Il me fixe – d'ailleurs – et je continue à rougir telle l'idiote qu'il fait de moi, son regard se promenant sans vergogne sur ma silhouette avant de remonter afin de s'arrimer au mien.

Tu m'as manqué.

Pour tout vous dire, un deuxième mois s'est écoulé depuis que j'ai appris qu'il est un agent du gouvernement. Il a été radicalement différent du premier, même si je demeure incapable d'assumer mes sentiments à voix haute. Je suis davantage apaisée, sereine, confiante bien qu'il n'exprime rien non plus. Je dois sans doute cela au fait de connaître son identité, je suppose. La vraie, bien que je n'ai aucune information au sujet de sa vie avant le bureau fédéral d'investigation. À ses doigts courant sur ma peau lorsque je me réveille contre la sienne.  Car en dehors des nuits où il est obligé de s'absenter – allant je ne sais où faire je ne sais quoi – il reste à mes côtés, désormais. Après que je lui ai demandé de me repousser pour la dernière fois – cherchant à me raisonner, persuadée du désintérêt qu'il avait affirmé – il a fait précisément l'inverse.

Je te croyais, pourtant.

C'était différent des fois où nous nous étions jetés l'un sur l'autre dans une invraisemblable perte de contrôle. Autre chose que les gestes que nous échangions en public pour illustrer notre mascarade.

Comment était-ce, Charlie ?

Naturel.

Instinctif, je dirais. D'une douceur indescriptible, en dépit du fait que je brûlais littéralement lorsqu'il m'a entraînée en direction de sa suite sans un mot. Nous n'en avions nullement besoin, nos yeux exprimant tout ce que aurions pu vouloir nous avouer.

Je voudrais que tu le dises à voix haute.

Sincèrement, heureusement qu'il ne m'a pas laissée aller au bout de ma vindicte lorsque je le provoquais. Vous savez, cette bêtise que je m'apprêtais à faire en mon âme et conscience tant j'étais perdue. En colère. Anéantie par son brutal rejet. Aujourd'hui, je sais à quel point j'aurais eu des regrets si j'avais laissé un autre homme que lui me toucher comme il l'a fait cette nuit-là. Si je m'étais donnée sans sentiments. Avais fait l'amour sans le vouloir vraiment.

Merci.

Je poursuis ma routine parfaitement millimétrée, celle-ci ayant toutefois un goût différent, désormais. Le mardi, les prostituées fréquentant l'association me taquinent au sujet de ce nouveau sourire habillant mon visage. Il est radieux, paraît-il. Alors avec gentillesse, elles m'adressent des vœux de bonheur identiques à ceux que j'ai pour elles.

Je vous admire tellement.

Le jeudi, mes collègues chez Alv&Co jalousent mon teint éclatant, à tel point qu'une des secrétaires m'a demandé si j'avais changé de crème de jour. Ce n'est pas le cas, mais je lui ai malgré tout donné la référence car après tout, Dermalogica produit d'excellents soins. Même Jeffrey White m'a octroyée une adorable remarque – lors d'une vidéoconférence – étant donné que nous travaillons à nouveau ensemble sur un projet de complexe hôtelier.

Il faut avouer que je n'étais guère au meilleur de ma forme lorsque nous nous sommes rencontrés.

Le vendredi soir, je joue des morceaux entraînants sous l'attention acérée de Peter. J'occulte avec peine mon ressentiment, ma rage, cette inébranlable rancœur autant que mon envie de hurler que je sais ce dont il est coupable. Ce qu'il a fait. À lui, moi, nous. Concentrée, je me focalise sur chacun des agréables moments passés au creux des bras de l'homme dont je suis amoureuse, espérant que maman puisse seulement deviner mes pensées positives entre les notes.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant