Je vous avoue que j'aime tout particulièrement les samedis soirs dans l'antre du diable. Cette solitude ayant l'allure d'un répit salvateur m'étant accordé. Quand je suis moi-même, j'entends. Car oui, je vais m'y tenir. Cesser de jouer. Arrêter de faire semblant d'être le contraire de la réalité. Après avoir exposé la situation à Noah, il m'a d'ailleurs encouragée en ce sens. C'est la meilleure chose à faire, selon lui. Il a raison. En prime, ce n'est pas comme si j'étais capable de tenir cette détestable version sur le long terme. Hors de question d'être cette fille là. Si je renonce aussi à ma nature après avoir été privée de ma mère ainsi que de ma vraie liberté, que me restera-t-il pour me raccrocher à cette vie que j'espère – vainement, je le sais – retrouver ?
Rien, Charlie.
Je suis seule à l'étage alors que tout le monde est au club. Ils sont dans leur élément, moi dans le mien. C'est vêtue d'un de mes tee-shirts blancs bien trop grand que je suis tranquillement installée dans la cuisine. Assise en tailleur sur une chaise, les coudes posés sur la table, je suis penchée sur un roman. L'un de ceux me bouleversant encore et encore, qu'importe le fait que je l'ai lu plus de fois que je ne peux le compter. Comme je ne dérangerai personne, j'ai apporté mon enceinte, et Ludovico Einaudi me berce au rythme de « In Un'Altra Vita ». Avant de plonger dans ma lecture, j'ai réchauffé le gratin de macaronis de Gloria que je déguste en toute tranquillité. Ainsi, je sens revenir un peu de ma – pseudo – sérénité perdue depuis mon agression. Passant quand même impulsivement mes doigts sur ma gorge, je me souviens de la douleur. Ma peur. Cette violence inouïe que je n'aurais jamais pu anticiper. La sidération autant que cet insupportable sentiment d'impuissance. In fine, je me remémore ma piètre tentative d'avoir le dessus sur Luke, tentant de recoller les morceaux brisés de mon âme. C'était stupide, oui. Jamais je ne guérirai en essayant d'être quelqu'un que je ne suis guère. En espérant faire payer à un autre un crime qu'il n'a pas commis. C'était injuste vis-à-vis de lui, j'en suis consciente. Peut-être est-il aussi suffisant qu'effrayant, charismatique et implacable... mais il n'est nullement le coupable de cette fêlure. Intolérable souffrance. Ce dernier a déjà expié, son sang sur ma peau en a été la preuve. Je me dois donc d'apprendre à composer avec le nouveau venu. Il est juste comme tous les autres, après tout. Sans faux-semblants, n'ai-je pas réussi à réellement m'entendre avec Noah ? Alors peut-être qu'au fil du temps...
Crois-tu, Charlie ?
Non.
C'est plus réaliste, en effet.
Quoi qu'il en soit, quand je le reverrai demain je serai juste moi.
Je ne me fais aucune illusion, vous savez. Dans son cas – vu notre désastreux départ – je fonde uniquement l'espoir d'une entente – à peu près – cordiale. Que nous nous tolérions pour les affaires et nous évitions le reste du temps. Mâchant lentement, je réprime un soupir – provoqué par mes pensées autant que le texte sous mes yeux – esquissant un sourire douloureux.
— Pourquoi es-tu encore ici ?
Je sursaute en lâchant ma fourchette, celle-ci retombant sur la table dans un grand bruit couvrant – presque – celui de ma respiration brisée.
Punaise !
Ah ! On dirait que tu peux commencer à être honnête dès maintenant, Charlie.
J'espérais bénéficier de davantage de temps pour rassembler les lambeaux de ma contenance avant de devoir le confronter à nouveau, dites-vous. Sauf que bien sûr...
D'accord.
Levant lentement la tête – tentant d'endiguer l'insupportable martèlement de mon pouls – j'accroche le bleu de mes iris au vert des siens, résolue. Vêtu d'un costume noir impeccable, d'une chemise assortie ouverte au col, il est aussi séduisant que terrifiant. Les sourcils froncés, il m'étudie avec tant de soin que je pourrais rougir. C'est probablement ce que je fais – d'ailleurs – étant donné à quel point je sens mes joues brûler.
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Après la pluie
RomansaAyant vécu une enfance teintée de galères, Charlie n'a nullement ménagé ses efforts afin de mettre sa vie sur les rails de la sérénité. Aspirant à un futur fait de bonheurs simples, elle voit son rêve voler en éclats d'un seul coup de téléphone. « D...