48 | Appartenir à ce monde

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Je me suis réellement entraînée au tir sous l'œil attentif de Robert, refoulant larmes, agonie ainsi que les nombreuses interrogations se bousculant dans mon esprit depuis les révélations de celui que j'appelais tonton par le passé. Nous ne nous sommes malheureusement pas recroisés avant mon départ – peut-être cela valait-il mieux au fond – mais de toute façon qu'aurions-nous pu nous dire devant le chef de la sécurité du parrain ? Aussi bienveillant soit-il vis-à-vis de moi, je sais qu'il lui voue une fidélité sans limite. En conséquence, il serait malvenu qu'il apprenne qu'un de leur soldat a gardé contact avec mon père après sa défection. Enfin je suppose.

Serait-ce considéré comme une trahison ?

C'est installée au piano du club que ces problématiques tourmentent mon esprit, mon oncle étant justement accoudé au comptoir, m'observant attentivement après que j'ai joué le morceau suggéré par Ignacio dans ma suite.

J'ai un nouveau soutien, maman. L'as-tu compris comme il l'espérait ?

« High Heels » – de Ludovico Einaudi – s'échappant de l'instrument sous mes doigts attristés, je suppose que chaque note illustre ma douleur à la perfection.

L'entends-tu, Lucifer ?! Je suis mal ici !

En réalité, je n'ai jamais su le comment du pourquoi il a débarqué pile après le décès de son petit frère. Savait-il déjà où nous trouver ? Je suppose que non, puisqu'il s'attendait à cueillir un neveu. Sincèrement, c'est autant de questions sans réponses que je ne peux malheureusement pas poser. Car si je demande à Satan pour quelle raison est-il venu ce jour-là plutôt qu'un autre, j'ai peur qu'il confirme ma plus grande crainte. Qu'il soit prévu que je devienne son héritière et soit condamnée à rester, être formatée. Modelée à son image. Qu'il ait profité que papa ne soit plus là pour l'en empêcher afin de mettre son plan à exécution. N'a-t-il guère compris que je ne m'accommode nullement de ce monde ? Que je souhaite en partir au-delà de tout ? Que je vais lutter de toutes mes forces ?

Malgré tes sentiments pour Luke, Charlie ?

Rien ne prouve qu'il soit intéressé de toute façon.

Mais si c'était le cas ?

Alors j'ai encore plus de deux ans à tirer ici et il est impossible d'affirmer que notre histoire pourrait durer tout ce temps.

Ton rêve reste inchangé, alors.

Il demeure, en effet.

Le cœur aussi éparpillé que démoli, j'ai finalement pris congé de mon geôlier en levant le menton, esquissant à son encontre ce sourire factice dont j'ai le secret depuis de trop nombreux mois.

Laisse-moi partir, je t'en supplie.

Je n'ai même pas pris la peine de tenter ma chance dans mon propre lit, me glissant instinctivement dans le sien. Celui de Luke, même si c'est insensé, oui. Enveloppée par son odeur à défaut du reste, j'y ai pleuré longtemps – mon père, ma mère, Mia, mon inquiétude pour leurs vies ainsi que mon futur incertain – avant de m'y endormir, l'épuisement l'emportant sur le reste.

Reviens-moi et nous verrons.

***

J'ignore l'heure qu'il est lorsque j'ouvre péniblement mes paupières douloureuses d'avoir tant sangloté. Néanmoins, la faible luminosité me fait supposer que l'aube pointe à peine. Ce n'est cependant pas une éventuelle lumière qui m'a extirpée de mon sommeil perturbé, mais les légers bruits provenant de l'autre côté de la porte laissée entrouverte.

Est-ce que c'est toi ?

Cela étant dit, je ne sais pas qui d'autre oserait s'aventurer par ici – en dehors de moi avec une boîte de Legos bien entendu – alors ma question s'avère être purement rhétorique. Mon pouls s'affolant à cette idée, je me retrouve partagée entre l'envie de sauter du lit et me précipiter pour le voir tant je suis soulagée de le savoir vivant, ou y rester, feignant de n'avoir rien entendu puisque je suis terriblement gênée d'avoir occupé ses appartements en son absence.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant