58 | Merde

536 72 21
                                        

Merde.

Ce putain de mot tourne incessamment dans mon esprit depuis des heures sans que je ne sache comment réagir. Ordonner mes pensées dispersées. Réfréner ma fureur au rythme de mes poings martelant le sac de frappe, NF chantant « Hate myself » dans mes écouteurs. J'ignore par quel miracle Charlie s'est endormie contre la vitre de la voiture pendant le trajet nous menant jusqu'au manoir, toutefois j'ai pu la déposer dans son lit, gagnant ainsi un peu de temps pour réfléchir à un plan d'action. Sauf que lequel, bordel ?!

Merde.

Recroquevillée sur elle-même – comme elle l'a malheureusement si souvent fait – incapable de me confronter, elle n'a eu de cesse de pleurer silencieusement avant de sombrer, cherchant probablement une échappatoire à la sordide réalité l'ayant violemment heurtée. Ce qu'elle croit qu'elle est, en tout cas. Elle a tort, évidemment. Tellement. Je compte lui expliquer, néanmoins... quelle légitimité ai-je à démentir sa conviction, désormais ? Alors même qu'elle a aussi appris que je ne suis guère celui qu'elle croyait ? J'aurais préféré affronter la pire de ses colères au sujet de mon identité plutôt que de la voir ainsi. Irrémédiablement brisée.

Merde.

Cette bande de cons ! Je n'en reviens pas que Brian ait pu valider cette idée ! Que cette pétasse de Tiffany l'ait voulu je le conçois – autant que je l'exècre – mais lui ?! Je ne laisserai jamais passer un coup pareil ! Il se paiera, soyez-en sûrs ! S'ils avaient suivi mes directives, nous n'en serions aucunement là ! Quel besoin ont-ils eu de la blesser ainsi quand il est évident qu'elle n'est qu'une innocente victime ?! Une brebis jetée en pâture dans l'antre des loups les plus dangereux de Chicago ?! D'ailleurs, comment le parrain a-t-il pu croire que je serais capable de l'entraîner dans ce milieu par la simple force des sentiments ?!

Merde.

Cela étant dit, il est loin d'avoir complètement tort, puisqu'il n'y a qu'ainsi qu'il peut espérer la garder sous sa coupe sans employer la force. Les menaces. Elle ne se donnera jamais entièrement si elle ne le décide pas par elle-même, beaucoup trop pure pour faire semblant. Elle ressemble à son père, m'a-t-il expliqué. Cette mansuétude, elle l'aurait hérité de lui. Quelle putain de blague, bordel ! Paraîtrait-il que Xavier n'a jamais trouvé sa place, ne souhaitant rien de plus que quitter la mafia pour couler des jours heureux et fonder une famille. Vivre honnêtement. Quand Peter m'a exposé son plan j'ai dû retenir un rire amer, dites-vous.

Merde.

Peut-être car ai-je réalisé dès le départ que j'allais tomber amoureux d'elle, préférant toutefois rester dans la dénégation. J'avais effectivement des projets concernant le mystérieux Charlie Alvarez, sauf qu'ils étaient sacrément éloignés de ceux-là ! Devoir finalement séduire une déconcertante jeune femme afin qu'elle décide de rester de son plein gré ? Sérieusement ?! C'était même vexant d'avoir été recruté en partie pour cela. Sachez que j'avais tout mis en œuvre pour être remarqué par son oncle bien que ce soit à San Francisco que j'étais infiltré depuis – y compris avant – mon recrutement par le FBI. Je voulais au-delà de tout rentrer dans ses rangs. Rencontrer Xavier à sa sortie. Le regarder dans les yeux. Lui dire avant de...

Merde.

J'ai été tellement furieux lorsque j'ai appris sa mort en prison avant d'avoir eu l'occasion de l'affronter ! Et que dire de ma rage quand j'ai réalisé que celle m'ayant déstabilisé à mon arrivée n'était autre que sa précieuse petite fille ?! Je l'ai tant haï pour ce simple fait ! Du moins ai-je en pure perte essayé... Tombant irrémédiablement sous son irrésistible charme tandis que je tentais de découvrir sa véritable personnalité, ignorant que je l'avais sous le nez dès le départ. Troublé par son audacieuse innocence quand elle me remettait à ma place avec un aplomb digne des plus grands. Bien que ce soit insensé, d'autant qu'il n'était guère dans mes plans de donner satisfaction à Peter. Hélas, je ne suis que l'un de ses foutus pions. Il m'a intégré à sa partie, gagnant cette manche sans effort puisque c'est elle que je veux plus que n'importe quoi, désormais.

Merde.

J'ai vrillé, oubliant le dessein d'une vie. Le jetant aux oubliettes sans l'ombre d'un regret. La désirant si fort que c'en est indécent. M'interdisant malgré tout de céder en dépit de provocations dont Charlie ne mesurait en rien l'impact, je le sais aujourd'hui. Elle est la naïve. L'ingénue. Inconsciente de ses atouts. De ce putain de sex-appeal qu'elle dégainait malgré elle en réaction à chacune de mes stupides attaques. Quel idiot ai-je été de partir sur ce dangereux terrain ! D'aller au contact de sa peau ! Je ne suis qu'un homme, après tout ! Un crétin face à un ange ! Qu'espérais-je, bordel ?!

Merde.

J'ai sombré. À tel point que je lui ai dit ces innommables horreurs lors de notre voyage aux Maldives beaucoup trop parfait. Elle ne le méritait pas, j'en suis conscient. Que je suis un connard fini. Évidemment qu'elle n'a nullement provoqué ce salaud de Luis Riviero ! Je n'ai jamais senti ce type et avais raison, mais j'avais besoin qu'elle s'éloigne puisque j'étais incapable de le faire moi-même. Car ce sourire habillant ses traits... l'éclat de ses jolies prunelles claires lorsqu'elle a aperçu les dauphins... la rougeur se diffusant sur ses pommettes quand nos iris s'accrochaient... Je crois que son pouls pulsait au même rythme que le mien, cela en devenant pernicieux.

Merde.

Avant ça, combien d'heures l'ai-je observée, endormie contre moi ? S'enroulant naturellement autour de mon corps pendant que je luttais, m'empêchant de parcourir les traits détendus de son visage du bout de mon index. Saviez-vous à quel point je me suis fait violence pour me retenir de poser un baiser sur son front cette fois-là ? Son nez ? Ses lèvres ? Pourtant j'avais repoussé sa main afin d'éviter de tenter de la posséder, incapable de continuer à me battre après l'avoir observé danser une fois de trop. Sauf que je l'avais blessée et que c'était insupportable.

Merde.

Vous doutiez-vous d'à quel point ai-je été submergé par la jalousie à l'idée qu'elle soit sans surveillance en compagnie d'Oliver Langdon ? Qu'elle décide d'aller dans sa chambre seule avec ce connard de directeur d'hôtel ? J'en étais rendu fou, incapable de me concentrer sur quoi que ce soit, imaginant toutes sortes de scénarios où il réalisait ce que je rêvais de lui faire moi-même. J'ai dérapé tant de fois, désarmé par cette beauté sans faux-semblants. Son innocence teintée d'un charme stupéfiant.

Merde.

Je suis ce putain de monstre. Le salopard d'égoïste. L'enfoiré responsable de l'horreur qu'elle vit. Subit. Celle qui reviendra la submerger à la seconde où elle se réveillera, dévoilant des yeux aussi épouvantés qu'éteints me laissant totalement impuissant. Encore. Même si elle a tort. Il va malgré tout falloir faire face, n'est-ce pas ? Nous n'allons guère pouvoir rester dans le déni tous les deux, je le sais. Et puisque je suis le fautif, je dois trouver le moyen de la remettre debout. Je le veux. Ferai n'importe quoi pour y parvenir. Le meilleur comme le pire.

Merde.

Me délestant de mes gants de boxe ainsi que de mes écouteurs, j'attrape ma bouteille d'eau, m'aspergeant abondamment avant de m'éponger. Prenant une lente inspiration, je réalise que j'ignore toujours quoi dire, comment formuler des mots capables d'apaiser les tourments dont je suis à nouveau responsable. Etant donné que j'ai craqué. Suis allé trop loin pour finalement me raviser, incapable de lui prendre sa virginité dans ces conditions. Vous savez, en la laissant croire qu'elle se donnait à Luke. Elle mérite tellement mieux, n'êtes-vous pas d'accord ? Si j'avais su me contrôler, elle serait préservée. Concrètement, j'aurais donné n'importe quoi pour qu'elle ne sache jamais. Maugréant contre moi-même, je me défais de mon tee-shirt trempé, le jetant négligemment sur le parquet. Prenant la direction de son étage, je suis déterminé en dépit de mon estomac fatalement noué.

Merde.

La musique se faisant entendre dès les escaliers me fait réaliser que j'ai trop traîné. Qu'elle s'est réveillée seule. Cela étant dit, il est peu probable qu'elle aurait apprécié le faire avec moi. Forçant l'allure, je m'empresse de rejoindre la porte de sa chambre, l'ouvrant à toute volée sans prendre la peine de m'annoncer, trop inquiet pour perdre une seconde supplémentaire. Une chose est certaine à présent, c'est qu'elle a quitté son lit il y a un bon moment et qu'évidemment, ce bout d'ange vient encore de me prendre au dépourvu. Un verre à la main, elle pivote dans ma direction – chancelante – avisant ma présence en fronçant son petit nez.

PUTAIN DE MERDE !

***

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant