KHADIJA SARR

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        — Une garantie, dit Linguère.

Alors c'est comme cela qu'ils me voient. Une vulgaire garantie. J'en avais conscience mais l'entendre de la bouche de Linguère me fait encore plus mal. Il faut que je sorte d'ici. Ça ne peut pas finir comme cela. Les jointures de mes doigts me faisaient mal à force de me cramponner à ma chaise.

Comme d'habitude, je suis spectatrice de ma propre vie. Ils parlent de moi comme si j'étais une vulgaire pacotille d'échange.
Mes poumons se vident soudainement et ma vision devient. Une nouvelle crise.
Si je fais une crise, mon père en finira avec moi. Il faut que je trouve une solution.

—Am...

Les mots me restaient interdits, comme si ma gorge me brûlait. Je déglutis douloureusement.

— Am... Amath, est-ce qu'on peut parler ?   chuchotais-je.

     Je n'arrive pas à lever les yeux vers lui. Je ne veux pas lever les yeux vers lui. C'est comme si le revoir après toutes ces années rendait toute cette histoire encore plus vraie.

     Je sens son regard me sonder, me mettre à nu et j'ai horreur de cela. Je redoutais qu'il m'envoie balader lorsqu'il se lève subitement m'intimant de me lever à mon tour.

— Nous avons des choses à nous dire, dit-il.

Il sort de la pièce sans me lancer de regard. Je sentais celui de mon père me menacer de ne rien foutre en l'air mais je ne le relève pas. Je suis mon futur geôlier. Nous montons les escaliers, enfin lui il monte les escaliers, moi je lui coure après.

Nous nous arrêtons à son ancienne chambre. Il ouvre la porte et entre sans se soucier de moi. Comme je disais la galanterie peut aller se faire foutre avec nous.

Sa chambre n'avait pas changé depuis la dernière fois que j'y suis entrée. Tout était en noir et gris. Un lit exagérément grand avec des draps gris et noir. Le mur soutenant le lit était peint en noir avec un tableau de lilas en gris. Des rideaux gris perchés à au moins six mètres cachaient une incroyable vue sur Dakar by night. Une lumière sombre donnait une ambiance inexplicable à la chambre. Une chambre simple mais qui respirait le fric. L'odeur de bois musqué que laissait Amath derrière lui rendait la tension plus intense.

— Qu'est-ce que tu veux ? gronde sa voix.

Tout mon être tressaillit à ses mots. Sa voix était devenue plus grave, plus intimidante, elle dégageait une aura dangereuse, nocive.

Je m'autorise enfin à le regarder. Son regard était fixé sur moi. Il semblait lire en moi. Il avait changé. Je ne sais pas comment l'expliquer mais quelque chose s'est éteint en lui. Il dégageait la même aura que Linguère en encore pire, meurtrière et destructrice. Le noir de ses yeux reflétait son âme, ces sourcils abondants le rendait ténébreux, vénéneux. Son nez était injustement parfait, fin et délicat, ses lèvres bien dessinées qui faisaient de l'ombre à sa barbe de trois jours. Je remarque une cicatrice qui part de sa joue jusqu'à son menton mais cela ne l'enlaidissait pas, au contraire cela le rendait diablement attirant. Il était beau, sinistrement beau.

       Ces quatre dernières années, le souvenir de ses traits s'estompaient. Mais le revoir après tout ce temps fait renaître en moi des sentiments que lui seul peut me faire ressentir. De la rancoeur, de la haine. Mais aujourd'hui, il a fait renaître quelque chose de plus: de la peur.

Je me racle la gorge et lève les yeux vers lui en m'en décrocher le cou. Il était vertigineusement grand et son corps suivait le rythme. L'on pouvait deviner son corps sculpté sous son sweat-shirt et son jogging.

       J'ai pris des heures pour me faire belle pour un connard qui s'est montré en sweat-shirt même si je pense que rien ne lui irait aussi bien. Je secoue la tête chassant ces idées saugrenues de mon esprit. Je réalise enfin que mon début de crise s'était envolé et que je ne sais pas quoi lui dire pour le dissuader. Mais qui ne tente rien n'a rien.

          — Tu n'as pas le droit, dis-je sous son regard d'incompréhension, tu n'as pas le droit de partir quatre ans, faire ta vie et revenir pour gâcher la mienne Amath Niane.

       Il avait le sourcil levé, je me sentais ridicule mais je continue, me laissant emporter par ma colère.

          — J'ai prié nuit et jour pour que tu... m'arrêtais-je.

— Je sois mort ? s'approche-t-il dangereusement de moi.

Il n'était qu'à quelques centimètres de moi. Soudain, tout mon courage me quitte, mon corps devient fébrile et ma tête tourne. Sûrement les effets de la gifle.

— Oui, dis-je d'une petite voix.

Ces traits sont durs, rien à avoir avec l'Amath avec qui je me chamaillais.

— Nous ne sommes plus des putains de gosses, chaton, alors tu ravaleras ta  de fierté et ton dégoût pendant un an comme je le fais, me crache-t-il.

Je suis au bord des larmes mais je ne lui ferai pas le plaisir de me voir pleurer. Il me regarde avec un tel dégoût, une telle rage que mon corps me lâche.

— Amath, je t'en supplie, je sais que tu me déteste alors s'il te plaît refuse de m'épouser, tu es le seul à pouvoir leur tenir tête, le suppliais-je à bout de force, je...je suis amoureuse d'un autre et je veux faire ma vie avec lui.

— Ferme ta gueule chaton, parce que sinon tu verras à quel point j'ai changé, dit-il d'un horrible ton calme, ce ne sera qu'un putain de papier qui nous liera.

Il passe près de moi en me bousculant et me laisse seule dans cette pièce soudainement froide. Je reste quelques minutes à reprendre mon souffle puis rejoins nos hôtes qui se sont déplacés au salon entre-temps. Amath est visiblement parti. Un soulagement m'apaise le cœur.

— Khadija, tu commenceras à travailler à l'entreprise Lundi, présente-toi à 9 heures dans mon bureau, me dit Linguère dès que je me pose à côté de mon père.

— Oui ma tante, lui répondais-je en lui souriant.

"Garde toujours le sourire mon ange et personne ne pourra te terrasser"

LINGUÈREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant