SALMA

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    C'est lorsque l'on nous prive d'une chose, que l'on se rend compte de son importance. Je n'ai jamais été aussi désireuse d'un toucher, aussi obsédée par une main, des doigts, un cou, des yeux et une bouche. Une bouche si inaccessible.

Karim passe toute la journée à la maison depuis sa crise, il y a de cela deux jours. Le sevrage est vraiment difficile pour lui, un combat perpétuel contre lui même.
Je ne fais que le regarder souffrir, impuissante.

    Je m'assois près de lui allongé sur mon lit, mais il ne me fuit, il fixe le plafond défriché sans cligner des yeux, comme s'il combattait les ténèbres, des ténèbres.

          — Karim, cela fait deux jours que tu n'as pas quitté le lit, tu n'as même rien mangé, je m'inquiète, Kayla et Tante Maty aussi, lui dis-je.

— Je n'ai pas la force de me lever Sali, je suis fatigué, dit-il faiblement.

— Je sais ce que tu es en train de faire, dis-je l'incitant à tourner la tête vers moi. Tu es en train de te laisser mourir parce que il y a quelque chose dans ta tête qui te dit que tu ne seras rien sans la drogue.

Son regard m'affirme que j'avais raison. Le pire ennemi que l'on puisse avoir c'est soi-même.

Je me lève avec entrain et tape de mains.

— Alors on va dire à cette voix d'aller se faire foutre et sortir nous amuser, dis-je joyeusement.

Il refixe le plafond en m'ignorant. Agacée, je mets mes mains sur les hanches et l'air menaçant je dis:

— Soit tu te lèves, soit je t'y force Karim.

Il souffle bruyamment pour montrer son agacement et se lève difficilement.

— Tout d'abord, tu vas prendre une douche parce que tu pues de partout, dis-je en me pinçant le nez, le voyant s'approcher.

Il sourit faiblement.

                                         *

          — Bonsoir tante Salma, dit l'enfant de ma voisine en passant.

          — Bonsoir Bobo.

   Karim sort de la maison. Il a attaché ses dreadlocks en chignon, son visage est plus dégagé qu'avant, plus envoûtant. Ses sourcils et sa barbe fournis le rendent irrésistiblement virile. De lourds cernes se sont dessinés sous ses yeux le rendant encore plus mystérieux.

          — Prêt ? dis-je, enthousiaste.

   Il hoche la tête sans rien dire. Je l'entraîne dans les rues de Soumbédioune.

    La nuit est noire, il devait être 21 heures. De gros nuages ont fait du ciel leur royaume menaçant d' envoyer averse, tonnerres et éclairs comme cris de guerre.

   Je saluais les passants, des voisins ou des amis, tandis que Karim marchait derrière mais très près de moi. Nous arrivons à la plage et nous nous dirigeons vers la cantine d'Abou.

          — Ah ma cliente préférée, où est ton fidèle acolyte ?

          — Ava est un peu occupée ces temps-ci avec son travail.

          — Ah, dit-il bizarrement avant de se ressaisir, que prends-tu cette fois ?

           — Deux plats de poissons braisés s'il te plaît, dis-je.

           — C'est comme si c'était fait.

    Il me donne deux plats, je me retourne et trouve Karim en train de s'éloigner vers la mer. Je le rejoins rapidement et nous asseyons sur le sable, bercés par les vagues, la brise marine faisant danser mes tresses.

LINGUÈREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant