LOUISE LOPEZ

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* 31 ans plus tôt *

" La vie sera toujours dure, si tu empruntes une voie tu en délaisseras forcément une autre et cela peut être irréversible" me disait ma mère.
     Il faut croire que je n'ai compris le sens de son conseil que trop tard. J'ai embrassé la voie de la richesse, la gloire, la puissance au détriment de ma famille et tout cela est de ma faute. Je n'ai plus personne, c'est le châtiment que je mérite.

     Lorsque j'ai vu la petite Linguère allongée sur le sol, baignant dans son sang, le souvenir de mon fils qui s'est donné la mort m'est revenu de plein fouet. Et depuis, je me sens liée à elle, c'est comme si l'on me donnait une seconde chance. Et je ne referais plus les mêmes erreurs avec cette petite. La vie lui a tant pris. À cause d'un homme, elle a perdu son enfant, ses parents, toute sa vie, alors qu'elle a à peine seize ans.

     Mafaye la dépose sur le lit de la chambre d'ami en attendant qu'elle se réveille. La pauvre, cela doit être traumatisant d'entendre que ses parents sont morts et de savoir qu'elle ne pourra jamais avoir la chance de se réconcilier avec eux.
   Je vais dans mon bureau suivie de Mafaye, qui a l'air inquiet.

          — La pauvre petite, je suis vraiment triste pour elle, dis-je.

          — Ne pensez-vous que l'on devrait la surveiller ? me demande-t-il.

          — Pourquoi donc ?

          — Elle a essayé de se suicider après la mort de son enfant, elle pourrait recommencer, dit Mafaye inquiet.

          — Tu as raison, je vais aller la voir dans quelques minutes, tu peux aller te reposer.

          — Bien Madame, me dit Mafaye.

          — Je t'ai toujours dit de m'appeler Louise, ou ma tante, ou maman, le réprimandais-je en riant.

          — C'est une habitude Madame.

   Je lève les yeux, le voyant prendre congés. C'est un brave petit, il faisait tout ce qu'il pouvait pour s'en sortir malgré son jeune âge. Il avait quinze ans lorsque je l'ai pris sous mon aile et après huit ans de loyaux services, je ne regrette pas d'avoir pris cette décision. Il est devenue ma seule famille au fil des années. Je sens que lui aussi s'est attaché à Linguère.
J'entreprends d'aller voir la petite après quelques minutes passées. Lorsque j'ouvre la porte, la pièce est vide. Prise de panique, j'entre dans la chambre et la balaye des yeux, rien. Je pénètre dans la salle de bain et voit Linguère allongée sur le sol, les mains ensanglantées.

— MAFAYE ! Criais-je de toutes mes forces en me précipitant vers elle.

      Mafaye apparaît presque instantanément, je n'ai même pas eu le temps de placer un mot, qu'il porte Linguère et fonce vers la voiture. 

                                        *
* *

— Son état s'est stabilisé, nous n'avons plus qu'à attendre qu'elle se réveille, dit le docteur Fonseca.

— Bien merci Gaël, lui répondais-je en m'asseyant près de Linguère, inconsciente.

Gaël est le fils de notre médecin de famille, lorsqu'il a pris sa retraite, il était normal que son fils reprenne le flambeau.
Je reste assise à regarder le visage paisible de Linguère. Elle est si belle et si triste. Je ressentais de la tristesse dans son silence. De la douleur s'échappait de chaque centimètre de son corps. Elle souffre, je le sais, je le sens.

— Ce n'est pas de ta faute, me dit Mafaye, derrière moi.

C'est rare qu'il me tutoie, il pose sa main sur mon épaule.

— À qui la faute si ce n'est moi ? J'aurai dû être là pour elle, être présente lorsqu'elle se réveille, lui montrer qu'elle n'est pas seule, dis-je les larmes aux yeux, j'aurai pu arriver trop tard, encore.
Je fixe les poignets de Linguère recouverts de tissus blancs. Elle s'est tailladée les veines comme l'a fait mon fils.

— Vous devriez aller vous reposer, nous avons passé la nuit ici, je ne la quitterai pas des yeux, me dit-il.

— Non, je ne bougerai pas d'ici.

— Bien, je vais aller vous chercher un café, dit-il en sortant de la chambre d'hôpital.

À peine qu'il soit parti, je vois Linguère bouger avant d'ouvrir lentement les yeux. Elle regarde toute la pièce avant que ses yeux croisent les miens. Elle semble prendre quelques secondes à se remémorer les derniers événements avant qu'une larme s'échappe de son œil.
Je ne fléchis pas, restant muette et impassible. Linguère entreprend de se relever difficilement mais je ne bouge pas scrutant chacun de ses gestes. Elle fixe ses poignets puis me regarde avant de fondre en larmes. Je meurs de l'intérieur en la voyant dans cet état, mais je ne peux pas la réconforter, pas maintenant.

— Tu pleures parce que tu n'es pas arrivée à tes fins ? lui demandais-je finalement, le visage fermé.

Elle ne dit rien et pleure de plus belle.

— Tu crois que te suicider est la meilleure solution ? Alors laisse moi te dire que ce Nasir a gagné.

Ces mots sont durs mais nécessaires, je dois la secouer pour qu'elle retrouve son envie de vivre.
Elle réprime un hoquet de surprise et me dévisage.

— Quoi ? Je ne dis que la vérité, il voulait te briser et il y est arrivé, repris-je, je ne savais pas que tu étais aussi faible.

— Je ne...suis pas...faible, dit-elle entre deux hoquets.

— Si, te suicider est un acte de faiblesse, tu aurais dû te battre.

— Je veux me battre mais je ne peux pas... je n'ai plus rien, plus personne, je n'ai plus rien à quoi m'agripper... je me sens si seule.

— Je sais, je sais mon enfant, dis-je en venant m'asseoir sur le lit, lui touchant délicatement un de ses poignets, et jamais plus tu ne le seras, je serai toujours là pour toi, jusqu'à mon dernier souffle mais tu dois te trouver une raison de vivre, quelque chose qui te fera te lever chaque jour avec hargne et dévotion.

— Oui mais quoi ? me demande-t-elle désespérément.

— Nasir Mbaye ! dis je en la fixant, prouve à ce monstre que rien ni personne ne pourra jamais vaincre la reine que tu es.

LINGUÈREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant