Chapitre 9-2

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Dans un premier temps, je m'assis prudemment au bord du lit et entrepris de retirer ma perfusion d'un coup sec, puis je me mis debout avec lenteur, de peur de voir la pièce se mettre à tourner comme une toupie autour de moi, mais... non. J'étais même plutôt stable et en forme pour une personne qui venait de passer deux jours entiers allongée dans un lit. Je jetais un coup d'œil à la pièce.

— Il y aurait des vêtements qui m'iraient, par hasard ?

— Tiens ! Ça devrait faire l'affaire, me dit Jude tandis qu'il lançait un petit tas de vêtements sur le lit.

Je m'en saisis et allai m'habiller dans le petit cabinet de toilette. J'enfilai rapidement le jean et le pull col en V prune et remerciait intérieurement et avec ferveur le décorateur qui avait oublié de mettre un miroir au-dessus du lavabo. Vu la tête que je devais avoir, ne pas affronter mon reflet était une bénédiction. Je récupérai mes chaussures qui, bien que passablement éraflées, avaient néanmoins survécu au désastre et allai rejoindre Jude à l'extérieur. C'était le crépuscule et je profitai de la dernière lueur du soleil alors que nous nous dirigions vers la maison principale. À l'approche du centre du hameau, je pris conscience qu'il se passait quelque chose d'inhabituel. Une petite foule constituée d'une trentaine de personnes se massait sur la place et il me sembla apercevoir une sorte de bûcher dressé en son centre, lorsque nous nous approchâmes.

— Ce sont les funérailles de Martha, me chuchota doucement Jude à l'oreille tout en passant un bras autour de ma taille.

Je me raidis imperceptiblement à son contact, plus habituée à ses remarques acerbes qu'à des signes d'affection. Cependant, ce geste semblant lui être anodin, je ne dis rien. D'autant plus qu'au fond de moi, il fallait bien l'admettre, j'avais besoin du réconfort qu'il m'apportait. Nous assistâmes à la cérémonie toute simple, en silence. Je me permis même de verser quelques larmes. Pour Martha, même si je ne l'avais pas connue, mais surtout pour mon inquiétude grandissante pour Cassie ainsi que pour ce qu'était devenue ma vie. Lorsque ce fut terminé, je fus surprise de voir quelques personnes s'approcher de moi pour me remercier. Je leur répondis d'un signe de tête, ne sachant pas trop comment prendre ces témoignages de reconnaissance qui n'incluaient étonnamment pas Jude. Ce dernier s'était d'ailleurs éloigné à leur approche. Quand il fut clair que plus personne ne viendrait me voir, Jude revint doucement vers moi.

— Viens. Il faut que nous parlions avec Charles de la disparition de ton amie.

Sans surprise, il me conduisit vers le bâtiment où j'avais rencontré le fameux conseil trois jours auparavant, déjà ! Il n'y avait que Charles et son épouse. La fameuse Daphnée n'avait pas daigné se joindre à nous, apparemment. Quelle surprise ! C'est Carla qui se leva à notre entrée et se dirigea vers moi en me tendant les mains.

— Merci beaucoup pour ce que vous avez fait. Nous sommes vraiment désolés que vous ayez été blessée. Comment vous sentez-vous à présent ? me demanda-t-elle gentiment.

Elle avait l'air sincère, mais je ne sais pourquoi, je n'arrivais pas à me détendre. Je ne pris pas ses mains tendues et lui répondis de la façon la plus neutre possible :

— J'aurais préféré vous rapporter de meilleures nouvelles. Moi aussi je suis désolée.

Elle sembla un instant décontenancée par mon attitude et ne sachant plus quoi faire de ses mains, les laissa retomber le long de son corps. Son air dépité et son regard perdu me culpabilisèrent quelques secondes, mais pas suffisamment pour que je m'excuse.

— Au moins nous savons, dit-elle dans un souffle et avec un sourire triste. Martha était la première à avoir disparu, cela nous laisse un peu d'espoir pour les autres.

Sa voix faiblit sur les derniers mots et elle prit une grande inspiration pour refouler ses larmes.

— Christina craint que notre problème n'ait rejailli sur elle, intervint Jude d'une voix monocorde mais puissante qui surprit tout le monde. Sa colocataire a disparu le jour où Hannah l'a contactée.

Même si sa posture et son attitude laissaient à penser qu'il ne s'adressait à personne en particulier, Charles le foudroya du regard, semblant prendre comme un affront personnel qu'il ait osé intervenir sans y avoir été invité. Je ne m'en étais pas rendu compte en arrivant, mais à présent que j'y faisais attention, je constatai que Jude ne m'avait pas suivie jusqu'au bout et s'était arrêté au pied de l'estrade où nous nous trouvions. Il se tenait bien droit, les jambes un peu écartées et les mains derrière le dos, tel un soldat. Ce qui me poussa à m'interroger sur son rôle exact au sein de cette communauté. Quel était son statut au juste ? Une sorte de flic ou de garde du corps ? Quel que soit son rôle, c'était de toute évidence un sous-fifre aux yeux de Charles, ce qui expliquerait son air aigri. Être obligé d'obéir aux ordres de quelqu'un que l'on n'apprécie pas n'est jamais très gratifiant, et je savais de quoi je parlais ! Me rendant compte que mon esprit divaguait, je me reconcentrai sur l'instant présent. Le plus urgent pour le moment était de retrouver les disparus, dont, et j'en étais de plus en plus certaine, Cassie faisait partie.

— La cause de ces enlèvements ? attaquai-je pour prendre le relais, tandis que je m'avançais vers Charles, mon regard rivé au sien. Maintenant que mon amie est probablement devenue un dommage collatéral dans votre histoire, vous allez peut-être enfin être honnête avec moi et me dire réellement de quoi il retourne ? terminai-je d'un ton hargneux. Quel est le rapport avec Cassie ?

— Je vais être honnête avec vous, mademoiselle Jones, énonça Charles d'une voix désagréable en appuyant sur mon nom. Le sort de votre « amie » m'indiffère au plus au point et je ne suis en aucun cas obligé de répondre à vos questions, énonça-t-il durement, alors que ses poings se serraient le long de ses cuisses.

Son regard glacial me cloua sur place et m'ôta toute envie de répliquer, malgré la profonde indignation que ces paroles dures et dénuées de compassion avaient provoquée en moi. Je restai là à le fixer, choquée qu'il ait osé l'énoncer à voix haute. Ma réaction eut l'air de l'amuser.

— Néanmoins, vous avez raison sur un point, continua-t-il avec un petit sourire froid, nous avons besoin de votre aide. Mais le vrai problème est que nous n'avons aucune idée des raisons de ces enlèvements, termina-t-il avec humeur tandis qu'il commençait à faire les cent pas.

Son attitude de colère impuissante était parfaite, mais je n'y crus pas une seconde. Ce dont il dut se rendre compte à mon air sceptique, puisqu'il s'arrêta brusquement à quelques pas de moi et me toisa de toute sa hauteur.

— Si nous avions le moindre début de piste ou même d'explication, me lança-t-il méchamment, croyez-vous vraiment que nous aurions fait appel à vous ?

— Charles... tenta d'intervenir Carla, qui fut interrompue on ne peut plus efficacement par un regard assassin de son mari. 

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant