Chapitre 10-1

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Le début du trajet se déroula en silence. Je tâchai d'oublier les élancements lancinants et les démangeaisons de la cicatrisation accélérée, maintenant que mon attention n'était plus accaparée par autre chose. Je me rendis alors compte que je guérissais encore plus vite qu'auparavant.

— C'est moi, ou ma régénération semble boostée ? interrogeai-je Jude d'une voix pensive.

— Parce que c'est le cas.

Il esquissa ensuite une sorte de petit sourire tandis qu'il continuait de scruter les ténèbres à travers la vitre d'un air concentré. Que pouvait-il bien distinguer dans cette mélasse ? Mystère.

— Tu pourrais préciser ou il faut que je te supplie ? grinçai-je entre mes dents.

— Humm... Ça pourrait être sympa... Essaie pour voir !

Il chercha à attirer mon attention de son regard moqueur, mais je me concentrai sur la route, du moins j'essayai. Cet homme arrivait à me faire sortir de mes gonds en un temps record. Je l'ignorai et continuai à conduire. Il ne voulait pas me donner de réponses, tant pis, je n'allais pas le supplier.

— Tu as reçu une transfusion de sang de métamorphe. Tu vas te régénérer comme un vrai métamorphe pendant encore quelques heures et ensuite cela reviendra à la normale.

J'ouvrais la bouche pour parler, l'esprit fourmillant de questions, quand il continua sur le même ton monocorde.

— Notre capacité de guérison apparaît à la puberté et augmente progressivement pour atteindre son maximum lors de notre première transformation, et ce pour des raisons évidentes. Ce qui provoque également un ralentissement manifeste et spectaculaire du vieillissement, termina-t-il sur le ton de quelqu'un qui s'ennuyait à mourir.

La surprise me tétanisa quelques secondes. À tel point que je faillis sortir de la route, momentanément déconcentrée. Heureusement pour tout le monde, nous nous trouvions au milieu de nulle part et à cette heure de la nuit, nous avions peu de chance de croiser un autre véhicule.

— Tu ferais peut-être mieux de me donner le volant, si c'est pour conduire comme ça.

— Et toi quand tu lâches une bombe pareille, prépare un peu le terrain si tu ne veux pas de mauvaises surprises, abruti !

Silencieusement je le traitai de tous les noms d'oiseaux, tout en essayant de me calmer. J'espérais au moins lui avoir fait une petite frayeur, ce serait déjà ça !

— Visiblement, tu n'étais pas au courant ! rajouta-t-il de son petit ton railleur.

— Comme si tu ne le savais pas. C'est quoi ton problème avec moi, bon sang ?

D'agacement, je donnai un brusque coup de volant et m'arrêtai brutalement sur le bas-côté. Puis je me tournai d'un quart de tour vers la droite pour lui faire face et fus contente de constater que ma manœuvre l'avait rendu un peu vert.

— Pourquoi as-tu tant tenu à m'accompagner ? Visiblement tu ne me supportes pas, alors vas-y, explique-toi, criai-je autant d'exaspération que de colère.

Il se tourna à son tour vers moi d'un mouvement rageur et me fixa d'un regard ardent.

— Parce que je n'ai pas le choix, cracha-t-il. Voilà, tu es contente ? On peut y aller ?

Il détourna le regard vers la vitre côté passager, mais je voyais à la raideur de sa posture qu'il était furieux et qu'il tentait de ne laisser filtrer aucune autre émotion.

— Tu te moques de moi ? Tu crois vraiment que je vais me contenter de ça ? Tu rêves ! marmonnai-je d'une voix acide.

— Tu ne veux plus retrouver ton amie ? me susurra-t-il d'un ton perfide et doucereux, son regard toujours rivé sur la nuit.

À cet instant précis, l'envie de taper sur quelque chose me submergea, car, cela me coûtait de l'admettre, sa remarque était justifiée. Mes mains se crispèrent sur le volant, à m'en faire blanchir les phalanges, et mes blessures se rappelèrent à mon bon souvenir. Ce qui eut au moins le mérite de calmer ma colère. Je compris, on se demande bien comment, que quoi que je dise ou fasse, je n'obtiendrais rien de plus pour le moment et regagnai la route normalement.

— Ne crois pas que l'on va en rester là, murmurai-je tout bas, bien que je sois sûre qu'il m'ait entendu malgré tout, au vu de la grimace que j'entraperçus dans le rétroviseur.

Le reste du trajet se fit dans un silence pesant, lorsque nous arrivâmes enfin en vue du commissariat le plus proche de mon domicile. Je me garai à quelques rues de celui-ci afin d'éviter d'attirer une attention inopportune, puis nous fîmes le reste de la route à pied.

C'était un bâtiment rectangulaire à un étage qui avait connu des jours meilleurs, comme le reste du quartier d'ailleurs. Flanquée de part et d'autre d'un pressing miteux et d'une boutique à l'abandon, sa façade écaillée renforçait la tristesse qu'inspiraient déjà les lettres aléatoirement suspendues, formant le mot « POLICE » au-dessus de la porte vitrée. Si ce n'était pour la lumière se déversant sur le trottoir, on aurait pu croire le bâtiment abandonné. Charmant.

Je marquai un temps d'arrêt. L'endroit n'avait rien d'accueillant, surtout de nuit. Jude me jeta alors un regard noir.

— Tu as intérêt à bien planquer tes bandages, me dit-il en désignant mes bras d'un signe de tête, brisant enfin le silence qui pesait entre nous.

Je ne répondis rien et me dirigeai, seule, vers l'entrée.

— Je t'attends dehors, conclut-il en se fondant dans la nuit.

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant