Chapitre 21-1

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C'est un coup discret sur la porte qui me sortit du marasme dans lequel j'étais embourbée. Je ne savais même pas depuis combien de temps j'étais là à broyer du noir. La voix étouffée de Jude me parvint à travers la porte et finit de me sortir de ma torpeur.

— On a du nouveau.

Debout en une fraction de seconde, les yeux bouffis et le nez rouge malgré l'eau froide, je rejoignis Jude qui faisait les cent pas dans le salon. Rien qu'à son attitude, je sus que les fameuses nouvelles n'allaient pas me plaire. Il s'arrêta lorsqu'il m'entendit arriver et, un bon point pour lui, ne fit aucun commentaire sur mon apparence.

— Les balles sont faites d'un alliage de plomb, de fer et de titane. Plutôt inhabituel pour des munitions d'après notre cher inspecteur mais... le problème ce n'est qu'aucun de ces métaux ne nous est néfaste, dit-il en continuant à tracer une ligne dans le tapis.

— Peut-être pas séparément, commençai-je à réfléchir à haute voix. C'est peut-être la combinaison des trois métaux qui a des conséquences particulières sur les métamorphes ?

Cela eut au moins le mérite d'arrêter Jude dans son mouvement de va-et-vient. Il me lança un regard incrédule et étonné qui se transforma peu à peu, pour devenir apparemment aussi intense que sa réflexion.

— Merci pour ton air étonné ! Ça en dit long sur le mérite que tu portes à mon intelligence, dis-je en ne plaisantant qu'à moitié. Ce qui m'y a fait penser, c'est que le petit morceau que j'ai retiré de ta plaie paraissait comme... oxydé, je dirais.

J'eus un petit haussement d'épaule : après tout, je n'étais pas chimiste.

— Oui, c'est forcément ça... Mais pourquoi n'y ai-je pas pensé avant ?!

Il tapa sur la touche rappel de son portable et je l'entendis demander à Worth de pousser un peu plus les analyses, puis il raccrocha.

— Tu as gardé le fragment ? Worth voudrait le récupérer.

Je le sortis de ma poche et lui tendis un petit bout de papier plié qui contenait le précieux bout de métal. Il l'ouvrit précautionneusement et émit un petit sifflement surpris.

— On dirait qu'il a été rongé !

— Oui. Par toi apparemment ! Ce sont les seules nouvelles que tu avais à m'apprendre ? demandai-je à la fois pleine d'espoir et d'appréhension.

— Worth se renseigne sur les achats récents de ces trois types de métaux. Voir si ça mène quelque part, mais sinon rien de neuf.

— Tu as quelque chose à me faire « sentir » ?

— C'est trop dangereux pour le moment, tu s...

— Stop, c'est bon, j'en ai assez attendu. Dangereux ou pas, je vais y aller ! Toi, fais comme tu veux, lui balançai-je hargneuse, avant de me diriger d'un pas résolu vers la porte.

— Sans point de départ, tu vas tourner en rond !

— Alors aide-moi, bon sang !

Au même instant, son portable sonna de nouveau. Je m'interrompis et me rapprochai de lui pour mieux entendre son interlocuteur. Ce qui ne servit pas à grand-chose, car la conversation ne dura que quelques secondes.

— Worth arrive.

Sur ce, il sortit sans un mot de plus, ni un regard pour moi.

Je voulus le suivre, puis m'abstins. Nous étions tous les deux frustrés et en colère, pas le meilleur cocktail pour une conversation calme. Je décidai donc de l'attendre à l'intérieur et en profitai pour réfléchir à nos options qui, il fallait bien l'avouer, n'étaient pas très nombreuses. C'est en me remémorant tous les évènements des derniers jours qu'un plan commença à germer dans mon esprit. J'avais besoin de deux ou trois précisions, mais plus j'y réfléchissais et plus cela me semblait être la solution pour enfin savoir qui était derrière tout ça. Je fermai les yeux et tentai de me relaxer en attendant la confrontation, qui j'en étais sûre, allait avoir lieu très bientôt.

À ma surprise, Jude revint plus tôt que prévu, dérangeant mon repos, et seul. Je l'interrogeai du regard.

— Colombo a eu un contretemps, du grabuge en centre-ville. Il nous rejoint après.

D'un côté ça m'arrangeait, j'aurais le temps de lui exposer mon plan. Je pris une grande inspiration et me lançai.

— J'ai peut-être une idée pour trouver l'endroit où sont détenus les disparus. Mais pour que cela ait une chance de fonctionner... j'aurais besoin que tu répondes à deux questions.

Il eut un mouvement de surprise et me fixa de son regard pénétrant, attendant visiblement la suite.

— Comment se fait-il que je ressente aussi bien ta présence ? C'est presque comme une évidence à présent, il suffit que je pense à toi pour savoir instantanément où tu te situes, ou dans quelle direction aller pour te trouver.

Je commençai à avoir une idée plus que précise de la réponse, mais j'en voulais la confirmation. Il ne dit rien pendant plusieurs minutes qui me parurent interminables, tandis que je m'efforçais de soutenir son regard. Si c'était un test, j'avais bien l'intention de le réussir. Il finit par pousser un soupir résigné et secoua la tête.

— Parce que j'ai bu ton sang. Mais vu ton air peu surpris, tu devais déjà t'en douter. Alors pourquoi cette question ?

— Juste pour être certaine. Et maintenant ma deuxième question : est-ce également le cas de ton côté ?

Visiblement celle-là, il ne l'avait pas vu venir.

— Et pourquoi veux-tu sav... Ah non, tu ne penses pas à faire quelque chose d'aussi stupide ? C'est de la folie ! Pas question que je trempe là-dedans, dit-il d'un ton véhément tout en s'avançant vers moi, pour changer aussitôt d'avis et faire demi-tour.

Il alla jusqu'à la cheminée où il se retourna pour s'y adosser, puis, bras croisés sur la poitrine, il me fixa d'un regard buté.

— J'en déduis donc que la réponse est oui, et que tu as compris où je voulais en venir. Je m'attendais à ta réaction d'homme des cavernes, pas de surprises de ce côté-là. Mais prends le temps de te calmer et de réfléchir... C'est la meilleure et même peut-être la seule solution. Si l'on ne veut pas perdre des mois en enquêtes infructueuses, que l'on ne pourra de toute façon même pas effectuer si on reste terrés comme des lapins.

— C'est beaucoup trop risqué. Ils vont te descendre à vue et on sera bien avancés. Non mais où as-tu la tête ? lança-t-il, des éclairs dans les yeux. De toute façon, la réponse est non.

Comprenant sûrement à mon air un peu perplexe et plus que courroucé que je n'avais pas bien compris sa dernière réponse, il crut bon de préciser.

— Non, ça ne marche pas dans les deux sens... Tout au moins pas avec assez de force pour ce que tu envisages... Donc la discussion est close.

Je restai un instant bouche bée de stupeur. Si ce qu'il venait de dire était vrai, pourquoi avait-il réagi aussi violemment à ma suggestion ? Ça n'avait pas de sens, à moins que...

— Ça marchera si je bois ton sang à mon tour, dis-je d'une voix blanche en le regardant changer de couleur devant moi. N'est-ce pas... ?

Il était passé du blanc maladif au moment où il s'était rendu compte que j'avais compris au rouge incandescent quand il se rendit compte que, bien que cette idée me répugnât, je serais néanmoins prête à aller jusqu'au bout.

Bon sang ce qu'il était beau. Cette pensée parasite s'imposa soudain à mon esprit sans raison. Malheureusement, c'était à peine suffisant pour contrebalancer sa très sympathique personnalité. Non mais à quoi je pensais ? Oh et puis après tout, ce n'est pas parce qu'on n'a pas l'intention de toucher qu'on ne peut pas regarder. Je m'obligeai à réorienter mes pensées vers le sujet actuel. Sa réaction disproportionnée à mes yeux m'apprit néanmoins quelque chose d'important.

— Pour que tu réagisses comme ça, c'est que tu sais que mon idée est bonne, lui assenai-je avec un petit sourire en coin, et tu as horreur de ça ! 

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant