Chapitre 12-2

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Je retournai près de lui et il ne fit aucune difficulté pour s'appuyer sur moi de nouveau, ce qui en disait long sur son état.

Il avança de quelques pas et tira la porte en se mettant le plus possible devant moi. Argh les hommes ! Je ne dis rien cependant et m'empressai de nous conduire jusqu'au renfoncement de mur le plus proche. C'était une matinée morne et pluvieuse, une bise glaciale soufflait du nord entraînant les nuages lourds de pluie dans une course sans fin. Malgré la faible luminosité, nous devions être visibles comme le nez au milieu de la figure au cœur de ces rues désertes. Nous retînmes notre respiration et, ne détectant aucune présence hostile, nous continuâmes péniblement notre chemin.

Je laissai Jude nous guider, sans avoir la moindre idée de la façon dont il s'y prenait. Au bout d'une dizaine de minutes, l'état de Jude et le mien commencèrent à m'inquiéter. Il pesait de plus en plus lourd sur mes épaules et je montrais des signes évidents de faiblesse, trébuchant tous les deux pas, respirant mal et tremblant de fatigue. La pluie s'était de plus invitée à la fête, nous transformant en loques dégoulinantes.

Ayant rejoint un quartier plus fréquenté, à deux pas d'une rue passante, Jude m'indiqua brusquement de bifurquer sur la droite et d'entrer dans le hall d'un immeuble délabré. Il me dit de chercher les escaliers et de descendre. Une fois en bas, nous entrâmes dans l'une des innombrables caves laissées à l'abandon par leurs propriétaires dont la porte était restée ouverte. À peine entrés dans la petite pièce sombre et exiguë, nous nous affalâmes tous les deux sur le sol de béton crasseux, malgré l'odeur de renfermé, d'humidité et de moisissure. La seule lumière qui nous parvenait, provenait d'un petit soupirail poussiéreux, situé en haut de l'un des murs.

Nous nous adossâmes au mur opposé à la porte afin de profiter de la maigre protection que nous offrait un horrible canapé miteux, orné de grosses fleurs orange et rose. Malgré sa laideur, il avait au moins l'avantage de nous préserver des regards indiscrets, le temps que nous reprenions des forces.

Nous étions cernés de tous côtés par un bric-à-brac hétéroclite, ainsi que par divers détritus, sans doute laissés là par les différents squatteurs et S.D.F en tout genre qui s'y étaient succédés. Le sol était maculé de taches suspectes et l'odeur d'urine commençait à supplanter celle de l'humidité, mais c'était le cadet de nos soucis. Du moment que nous étions à l'abri et que nous pouvions avoir un petit peu de répit, j'étais prête à me poser n'importe où, ou presque. Je poussai un soupir à la fois de lassitude et de soulagement et jetai un coup d'œil à ma montre, plus par réflexe qu'autre chose. Je poussai alors un petit cri horrifié.

— Quoi, que se passe-il ? demanda Jude d'un air hagard, tandis qu'il jetait des regards frénétiques et inquiets autour de lui.

Il faisait peine à voir avec ses traits tirés et son teint pâle. Ses vêtements en piteux état étaient couverts de sang et avec ses longs cheveux trempés qui lui dégoulinaient de chaque côté du visage, il ressemblait à un rat noyé ! À la réflexion, je ne devais pas être mieux que lui ! Si les mystérieux hommes qui en avaient après nous nous tombaient dessus maintenant, nous étions fichus.

— Rien, dis-je en partant d'un rire sans joie. Je viens juste de me rendre compte que j'ai rendez-vous avec l'inspecteur Worth dans exactement... quarante minutes. Autant dire que j'ai déjà un mandat d'arrêt aux fesses, car une chose est sûre, je n'y serai pas ! Même si ce n'est pas le plus important, là, tout de suite.

Je le vis prendre quelque chose dans la poche arrière de son pantalon, qu'il lança sur mes genoux d'un geste approximatif.

— Tiens ! Appelle-le et tâche d'être convaincante. On n'a vraiment pas besoin d'avoir la police sur le dos plus que ce n'est déjà le cas, grinça-t-il entre ses dents d'une voix harassée. Et surtout après... éteins le téléphone !

— Tu plaisantes ?

Il ne prit même pas la peine de me répondre et réussit à me jeter un regard noir convaincant, malgré son air exténué. Je poussais un soupir tout en cherchant le numéro du commissariat sur internet, puis j'entrepris de le composer lentement, tandis que j'essayais de trouver désespérément quelque chose à dire pour expliquer ce contretemps.

— Oui, que puis-je faire pour vous ? répondit un homme d'une voix blasée tout en mâchant du chewing-gum et en oubliant la moitié de la phrase de présentation.

— L'inspecteur Worth est-il là, s'il vous plaît ? débitai-je avec ma plus belle voix de secrétaire zélée. J'ai rendez-vous avec lui dans quarante minutes, mais je ne pourrai être présente. J'aurais voulu m'excuser et lui demander si nous pouvions remettre ça à demain sans faute ?

Je retins mon souffle en attendant sa réponse, tout en priant pour que Worth ne soit pas là. Si par malheur il prenait le téléphone, je ne pensais pas pouvoir l'embobiner aussi facilement que ce planton.

— Nan, il est pas encore arrivé, me répondit-il entre deux bruits de mastication. Vous êtes ?

— Christina Jones. Dites-lui bien que je suis désolée de ce contretemps et que je serai là demain à dix heures, sans faute ! Merci.

Je raccrochai rapidement avant qu'il n'ait le temps de me demander plus de précisions et poussai un gros soupir de soulagement.

— Tiens, dis-je à Jude en lui tendant son portable d'une poigne apathique, avant de me rendre compte qu'il s'était endormi.

Je repris l'appareil et l'éteignit comme il me l'avait demandé, afin que l'inspecteur Worth ne puisse pas tracer l'appel et trouver où nous étions. Ce qu'il ferait sans l'ombre d'un doute dès qu'il aurait le message. Je jetai un nouveau coup


d'œil à Jude, quand je repérai pour la première fois le couteau attaché à sa cheville.

Je me levai douloureusement et allai récupérer l'arme en me battant quelques instants avec le fourreau en cuir dans lequel il était rangé. Il ne bougea pas, ni ne se réveilla quand je la pris, puis je retournai m'assoir à l'abri du magnifique canapé à fleurs tout en faisant bien attention à garder une vue dégagée sur la porte de la cave. Le couteau bien en main et posé sur mes genoux, je me mis à fixer la porte en espérant de toutes mes forces qu'elle resterait close. Même si la présence de l'arme me rassurait un peu, elle ne me serait pas d'une grande aide face à des armes à feu. De plus, avec Jude hors service pour un petit moment encore, j'étais notre seule ligne de défense. Pathétique ! Je secouai doucement la tête de frustration et me demandai pour la centième fois au moins, comment j'avais bien pu faire pour en arriver là. C'est à cet instant que mon regard dériva, presque malgré moi, vers le spectacle qu'offrait Jude endormi.

Assis par terre, retenu seulement par ses épaules pour soulager ses blessures, il avait allongé ses jambes devant lui, les pieds calés contre l'angle du canapé. Sa main gauche reposait sur sa cuisse blessée et sa droite sur le sol. Sa tête posée sur son épaule droite, ses traits étaient enfin détendus malgré les épreuves que nous venions de traverser. Je me rendis compte que c'était la première fois que je voyais son visage au repos et non altéré par la colère ou par son sempiternel sourire sardonique. Ce qu'il était beau ! Dommage que son caractère ne soit pas à la hauteur de son physique. Je détournai soudain mon regard vers la porte avec un petit claquement de langue agacé, alors qu'un sentiment de gêne m'envahissait et empourprait mes joues. Non, mais à quoi je pensais ? C'était vraiment n'importe quoi... Avec un gros soupir, je m'installai à nouveau le plus inconfortablement possible afin de ne pas m'assoupir et me préparai à une veille longue et ennuyeuse.

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant