Quand il faut y aller.
Je ne sais pourquoi, une forte appréhension me saisit alors que les doubles portes du poste s'ouvraient devant moi dans un chuintement. Je pénétrai dans le hall, propre à défaut d'être accueillant. Les murs à l'origine blancs avaient viré au jaune sale, tout comme le lino tout défraîchi qui se décollait par endroit. Pour compléter le tableau, quelques chaises en plastique moulé étaient disséminées contre les murs.
Je m'approchai du comptoir protégé par une vitre, certainement pare-balles, et m'adressai au policier en uniforme tellement concentré sur son téléphone portable qu'il ne m'avait pas entendue entrer. Il sursauta quand je tapai doucement à la vitre et essaya maladroitement de cacher son mobile, en le poussant sous une pile de prospectus. Il se redressa et tenta de donner un air sévère et professionnel à son visage juvénile marqué par l'acné. Seigneur, ce gamin devait être à peine majeur ! Ils les recrutaient au berceau maintenant dans la police ?
— Je voudrais signaler une disparition, s'il vous plaît, dis-je gentiment en secouant imperceptiblement la tête.
— Très bien. Veuillez remplir ce formulaire, me dit-il mécaniquement en me tendant un imprimé vert ainsi qu'un stylo ayant déjà été mâchouillé par la moitié de la ville.
Je les pris du bout des doigts et allai m'asseoir sur une des chaises pour me soumettre aux impératifs bureaucratiques, pendant que le jeune boutonneux transférait ma requête via un vieux téléphone fixe à qui de droit, enfin je l'espérais. Ayant fini ma corvée, je rapportai au guichet formulaire et crayon, avant de retourner m'assoir pour attendre, comme on me le demandait. Je commençai à ne plus tenir en place, quand une porte que je n'avais pas remarquée s'ouvrit dans le fond de la pièce.
Un homme d'une petite trentaine d'années en sortit et se dirigea vers moi d'un pas décidé. Son visage n'avait rien de remarquable, il était même plutôt quelconque. Ses cheveux châtains à la coupe classique et ses vêtements bon marché accentuaient cet effet, néanmoins son air banal s'évapora dès que je croisai ses yeux verts débordant d'intelligence et de perspicacité. De toute évidence, il n'avait pas été recruté pour ses muscles. J'eus l'impression d'être passée au rayon X, tandis qu'il m'observait de son regard pénétrant. Cela risquait de s'avérer plus délicat que prévu. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais la désagréable impression qu'il était quasiment impossible de mentir à cet homme ! Je me levai et nous nous serrâmes la main.
— Inspecteur Gabriel Worth, se présenta-t-il d'une agréable voix de basse, qui là encore ne correspondait pas à son physique. Que puis-je faire pour vous ?
— De toute évidence vous le savez déjà, lui rétorquai-je avec un demi-sourire tout en lui montrant d'un signe de tête le formulaire qu'il tenait à la main.
— Intelligente en plus d'être charmante, dit-il en esquissant un petit sourire. Et si nous cessions ce petit jeu, mademoiselle Jones ?
À sa façon de prononcer mon nom, je sus qu'il pensait que c'était un faux. Je n'aurais pas pu hériter d'un nom de famille plus commun et sa réaction plutôt habituelle ne me choqua pas. J'avoue même qu'elle me rassura, car cela signifiait qu'il n'avait pas fait de recherches approfondies sur moi, ou tout du moins pas encore.
— Je ne joue pas, inspecteur, lui répondis-je sèchement. Mon amie a disparu depuis trois jours et je suis inquiète. Même très inquiète, car ça ne lui ressemble pas.
Je m'agitai mal à l'aise sous son regard vert.
— Quant à mon nom, il est on ne peut plus authentique malheureusement. Ils n'ont rien trouvé de plus original à l'orphelinat, j'en ai bien peur. C'était ça ou Smith, continuai-je sur le ton de l'autodérision.
Il ne dit rien et continua de m'observer, suspicieux. Au bout de quelques secondes, il esquissa un petit sourire suivi d'une grimace de compassion et je sus qu'il m'accordait le bénéfice du doute. Du moins pour l'instant.
— Si nous allions poursuivre cette conversation dans un endroit plus tranquille ?
Sans me donner le temps de répondre, il tourna les talons et se redirigea vers la porte par laquelle il était arrivé.
— Suivez-moi.
Je lui emboîtai le pas. Comme si j'avais le choix ! Il me conduisit dans un dédale de couloirs tous similaires, pour finalement entrer dans une petite salle sentant le renfermé et meublée, en tout et pour tout, d'une table et deux chaises. J'avais beau m'y attendre, la vue de la salle d'interrogatoire me fit froid dans le dos. C'était fou le pouvoir que ce genre de pièce avait de vous faire vous sentir coupable, même si vous n'aviez rien à vous reprocher.
— Je vous en prie, asseyez-vous.
Derrière ses manières affables et polies, je sentis que ce serait plus un véritable interrogatoire qu'une conversation. Envolé le bénéfice du doute ! Je m'exécutai et essayai d'être la plus naturelle possible, ce qui vu sa réaction, n'était pas une réussite. Il s'assit à son tour, croisa les mains sur la table devant lui, planta ses yeux dans les miens et attendit. Je soutins son regard impassible à peine une minute, avant de céder. Soyons clairs, je n'avais aucun avenir en tant que criminelle.
— Pourquoi ai-je l'impression d'avoir fait quelque chose de mal ?
— C'est le cas ?
— Bon ça suffit ! lançai-je exaspérée. Ça rime à quoi ce petit jeu ? Ma colocataire a disparu. Je suis venue vous le signaler pour que vous fassiez quelque chose pour la retrouver. Au lieu de quoi, vous me traitez comme si j'étais suspecte dans une affaire de meurtre, c'est délirant !
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Féline. Tome 1
Paranormal*Vainqueur des Wattys 2016 dans la catégorie "Lectures Assidues"* Christina, orpheline de Détroit, vit enfin une existence normale après des années de galères. Mais la mise en garde d'une mystérieuse inconnue va la plonger au cœur d'un...