Chapitre 12-1

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Je me réveillai en sursaut, hébétée. J'avais l'impression d'avoir été passée à tabac, une douleur sourde me parcourait le corps et je sentais le sang pulser sous mon crâne. Je mis quelques secondes à me rappeler où j'étais et, tandis que les souvenirs affluaient, mon cerveau se remit en marche.

Quelque chose m'avait réveillée.

J'essayai de sonder désespérément l'extérieur de notre refuge dans l'espoir de déterminer le bruit qui m'avait mise en alerte. Lorsque j'entrepris de replier mes jambes, je dus réprimer un cri de douleur. Mes muscles endoloris n'appréciaient pas le réveil et mon jean, raidi par le sang séché, ne facilitait pas mes mouvements.

Je réussis à me lever et m'approchai prudemment d'un des interstices de la porte afin de jeter un coup d'œil à l'extérieur. Il faisait à peine jour. Je ne devais m'être assoupie qu'une demi-heure, tout au plus. Je comprenais mieux mon mal de crâne. Ne décelant rien de particulier, je commençai à me détendre, quand je pris conscience que c'était en fait le silence qui m'avait tirée de mon sommeil. Je n'entendais plus Jude respirer !

Je me précipitai à son chevet et cherchai à nouveau son pouls. Il était faible et intermittent et sa respiration n'était plus qu'un souffle à peine perceptible. Il n'était pas tombé dans un sommeil réparateur comme je le croyais, mais il était en train de mourir. Je soulevai la veste dont je l'avais recouvert pour vérifier l'état de ses blessures : elles avaient exactement le même aspect que tout à l'heure. Comme si son corps, après avoir refermé les plaies, n'avait pas eu la force d'aller plus loin. Sa peau était recouverte d'un voile de transpiration, mais surtout elle était glacée et blafarde. Puis l'évidence me percuta comme un train de marchandises à pleine vitesse. Il lui fallait du sang ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé tout de suite ? Cependant, comment faire pour lui en procurer ? Je ne pouvais joindre personne ni l'emmener à l'hôpital et encore moins aller chercher de l'aide.

Je me laissai glisser au sol, en proie au désespoir. J'avais fait tout ça pour rien. Au final, il allait quand même finir par mourir, et tout ça par ma faute ! Tout en le soignant, j'étais arrivée à la conclusion que la première balle l'avait atteint alors que j'hésitai à m'enfuir. Placé devant moi, je me souvins de son grognement de douleur ainsi que de son corps se raidissant. Sur le moment, j'avais mis ça sur le compte de sa colère, mais à présent j'étais quasiment sûre d'avoir raison. La première blessure l'avait affaibli et c'est sans doute pour cela qu'ils avaient réussi à le toucher de nouveau par la suite. Mon Dieu ! Mes sentiments me submergèrent brusquement et des larmes commencèrent à couler silencieusement sur mes joues.

Non ! Il fallait que je me ressaisisse, je ne pouvais pas laisser tomber. Je devais trouver une solution et vite. C'est à ce moment que je vis les bouts de verre brisé qui jonchaient le sol un peu plus loin. Avant même de comprendre exactement ce que je voulais faire, je me retrouvai debout, un morceau de bouteille cassée à la main, et tout devint limpide.

Suivant mon instinct, je retournai brusquement Jude sur le dos, avant de m'assoir contre l'un des murs crasseux. Puis je l'installai en position semi-assise, son dos contre ma poitrine. Sommairement installée, je pris une grande inspiration, m'entaillai le poignet avec le morceau de verre et l'appliquai contre sa bouche. Tout en l'encourageant à avaler, je lui massai doucement la gorge pour provoquer sa déglutition. J'avais bien conscience que ce que je faisais était, d'un point de vue médical, complètement idiot, mais je sentais au fond de moi que c'était sa seule chance de s'en sortir. Quand enfin je sentis sa bouche se plaquer contre mon poignet et sa déglutition se faire naturellement, j'arrêtai le massage et passai mon bras libre autour de son torse pour le maintenir.

Au bout de quelques minutes, il poussa un gémissement et écarta mon poignet de sa bouche avec sa main, avant d'être pris d'un violent haut-le-cœur. Je raffermis ma prise tout en me demandant avec inquiétude si je n'avais pas empiré la situation. Sur le moment, j'y étais allée à l'instinct mais... Mes doutes furent rapidement balayés quand ses spasmes cessèrent et qu'il ouvrit les yeux. Il me fixa quelques secondes d'un regard interrogateur, puis il couvrit ma main qui le maintenait de la sienne et referma les yeux tout en laissant aller sa tête contre mon épaule avec un soupir de lassitude. Je ne me détendis lorsque je vis qu'il avait repris quelques couleurs et que sa respiration et son pouls étaient plus sains et réguliers.

***

Je dus m'assoupir tandis que je veillais sur son sommeil, car il me semblait que des heures s'étaient écoulées quand je le sentis revenir à lui. Un coup d'œil à ma montre m'indiqua qu'une heure à peine venait de s'envoler.

— Il faut que l'on parte d'ici, dit soudain Jude en essayant de se redresser.

Sa voix était rauque et mal assurée, mais c'était toujours mieux que ses gémissements de douleur.

— Tu es déjà en état de te déplacer ? m'exclamai-je d'un ton sceptique, reflétant parfaitement ma façon de penser.

— On va vite le savoir, grogna-t-il avec effort.

Il entreprit alors de se lever en prenant appui sur le sol avec ses mains. Déséquilibré, je dus le soutenir avant qu'il ne tombe tête la première sur le béton.

— Oups ! A priori... je dirais non.

— Nous n'avons pas le choix, dit-il en haletant d'épuisement. Ils vont revenir. Je suis même surpris qu'ils ne nous soient pas déjà tombés dessus.

Voyant qu'il essayait encore de se redresser et que je n'arriverais pas à raisonner cette tête de mule, je me levai à mon tour et l'aidai en le prenant à bras-le-corps. Il pesait un âne mort, mais je réussis tant bien que mal à le mettre sur ses pieds. Il chancela puis se rattrapa à moi en tendant un bras derrière lui. Je me rapprochai pour passer son bras sur mes épaules.

— Et maintenant ? Je te traîne sous la pluie jusqu'à ce que mort s'ensuive ? ironisai-je. Car je n'ai pas la moindre idée d'où nous sommes. Appelle plutôt Charles pour que l'on vienne nous aider.

— Pour leur amener d'autres victimes sur un plateau s'ils sont encore là ? Pfff... souffla-t-il dédaigneusement. En plus je ne sais pas plus que toi où nous sommes. Je ne sais même plus comment je suis arrivé là, donc pour les secours, c'est raté, ajouta-t-il, visiblement à bout de souffle. Nous devons trouver un endroit sûr et identifiable. À ce moment-là seulement, nous pourrons appeler la cavalerie.

Il se tut enfin, son regard las semblant chercher quelque chose sur le sol souillé.

— Où sont les balles que tu as enlevées ?

— Je ne sais pas. Quelque part par terre, lui répondis-je rapidement.

— Ramasse-les. Nous devons laisser le moins de traces possible derrière nous, m'expliqua-t-il.

Même à l'article de la mort, il n'avait pas perdu son ton autoritaire et ses manières de despote. D'une certaine manière, c'était presque rassurant, même si ça me tapait toujours autant sur les nerfs ! Je le lâchai, vérifiai qu'il ne s'écroulait pas et ramassai les projectiles que je retrouvai facilement, avant de les mettre dans ma poche.

— C'est bon.

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant