Chapitre 19-1

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Le corps-à-corps se poursuivit plusieurs longues minutes avant que je ne voie Jude enfin repousser son adversaire d'un coup de poing en plein museau. Il y eut un craquement, suivi d'un jappement plaintif et l'hideuse bête recula en secouant la tête. Jude était mal en point, sa jambe gauche saignait abondamment et il se tenait courbé, son torse enserré de son bras droit. Il eut à peine quelques secondes pour reprendre son souffle, que le chien bondissait à nouveau dans un grognement terrifiant.

Je restai là impuissante, à les regarder s'entretuer. L'un avec ses crocs et ses griffes et l'autre avec un pauvre couteau, qui paraissait bien inoffensif en comparaison. Malheureusement, le résultat semblait couru d'avance. Bien que Jude sache à l'évidence se battre et ait une force hors du commun, ses blessures l'handicapaient. Il fallait que je fasse quelque chose, mais quoi ?

Je ne savais pas me battre, bon sang ! Je ne ferais que fournir un bon repas à ce chien de l'enfer. Je regardai frénétiquement autour de moi, mon regard cherchant avec désespoir une arme potentielle à me mettre sous la main. C'est là que je vis l'arc de Jude, abandonné près de l'arbre duquel il était descendu un peu plus tôt. Je me précipitai pour le ramasser, ainsi que le carquois, et tentai maladroitement d'encocher une flèche. Qui aurait pu croire que c'était si difficile de tirer à l'arc, ça avait pourtant l'air simple à la télé.

Je dus m'y reprendre à trois fois pour positionner la flèche correctement et réussir à bander l'arc de manière à peu près satisfaisante. Entre mon inexpérience et mon corps tremblant, c'était déjà un miracle que j'y sois parvenue. J'essayai de trouver une position stable, puis visai. Durant le peu de minutes qu'il m'avait fallu pour armer mon arme improvisée, le combat avait évolué et pas en faveur de Jude comme en attestait sa respiration heurtée et sa position recroquevillée.

J'ajustai mon tir et relâchai la corde. Malheureusement, je n'y avais pas mis assez de force et la flèche, après avoir effectué un joli demi-cercle dans les airs, ricocha sur la tête de l'animal, ne réussissant qu'à l'énerver. Son attention se détourna instantanément de Jude, ce qui était déjà un progrès certain, pour venir se poser sur moi. D'un air agacé, la bête secoua la tête et se dirigea sur moi dans un grondement sourd. Je commençai à reculer instinctivement, l'arc toujours en main, le regard braqué sur l'animal qui s'approchait lentement du fait de ses blessures. Je laissai tomber mon arme lorsque je me rendis compte que je n'aurais jamais le temps de décocher une seconde flèche. Autant avoir mes deux mains libres ! Mais pour en faire quoi ? Bonne question !

— Grimpe dans un arbre ! me cria Jude d'une voix rauque d'épuisement.

Son intervention détourna l'attention de la bête. Il ne savait apparemment plus lequel de nous deux attaquer en premier. J'en profitai pour faire volte-face et me précipiter vers l'arbre le plus proche, un jeune chêne à première vue, avec assez de branches basses pour me permettre d'y grimper. Je réussis à me hisser jusqu'à une branche relativement solide qui, je l'espérais, supporterait mon poids. Au moment où je l'atteignais, le chien fit un bond prodigieux pour essayer de m'attraper la jambe, au moment où une onde de choc déferla sur notre petit coin de forêt.

Je trouvais la version de cet après-midi corsée, mais apparemment je n'avais encore rien vu ! Confuse et à bout de souffle, je ne cherchai même plus à essayer d'identifier ce qu'il se passait exactement, seulement à me rappeler comment respirer. Je savais que cela venait de Jude car j'avais reconnu sa « signature ». Mes yeux le cherchèrent instinctivement pendant que je restais là, impuissante et tremblante, à observer le spectacle.

Choquant est le premier mot qui me vint à l'esprit. Jude était recroquevillé sur le sol et semblait souffrir atrocement, son corps se contorsionnant de manière grotesque et tout sauf naturelle. Il essayait vraisemblablement d'être silencieux mais ne pouvait retenir des gémissements d'agonie de plus en plus inhumains. J'étais horrifiée, autant par le spectacle que par la réaction de mon corps qui, je le comprenais maintenant, réagissait à la métamorphose de Jude. De plus, au premier gémissement, la bête s'était désintéressée de moi pour tourner son horrible gueule pleine de crocs vers lui, ajoutant à mon effroi. Sûrement échaudé par leur combat, le chien avançait furtivement sur sa cible en pleine transformation. S'il parvenait à l'atteindre, il allait l'achever sans qu'il ne puisse se défendre.

J'essayai donc de descendre de mon arbre pour faire diversion, mais ne réussis qu'à en tomber lourdement. Ma chute fut douloureuse mais heureusement freinée par les branches inférieures, puis amortie par un tapis de feuilles mortes. Tous mes membres me semblaient désagréablement composés de caoutchouc et de plomb, alors que je tentai difficilement de me relever. Je cherchai frénétiquement du regard, une pierre ou n'importe quoi pouvant me permettre de me défendre, quand je sus que la transformation était achevée. L'irrépressible force qui m'avait ôté tous mes moyens disparut soudainement et je pus à nouveau respirer normalement et retrouver l'usage de mes membres. Tout à coup, un cri puissant et cristallin retentit et un majestueux aigle royal s'éleva dans les airs.

Il était magnifique ! Son plumage n'avait pas la couleur de ceux que j'avais pu voir dans les documentaires animaliers, le Saint Graal des insomniaques. Il était brun clair et sa tête était blanche surmontée de plumes noires qui rappelaient la couleur de ses cheveux. Ses yeux, mobiles comme ceux d'un oiseau, avaient en plus la couleur et l'intelligence de ceux de Jude. C'était irréel, magnifique et... troublant. Alors que je l'observais, hypnotisée par le spectacle, il cria à nouveau et fondit à une vitesse ahurissante sur le chien ramassé sur lui-même, prêt à bondir à la rencontre de cette nouvelle menace. Bien que gêné dans ses mouvements par les arbres et les buissons alentours, il réussit facilement à éviter l'attaque pataude de la créature et s'ingénia à lui crever les yeux avec une détermination et une précision redoutables.


Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant