Chapitre 16-2

8.5K 1K 132
                                    


Sa proposition me fit l'effet d'une gifle. J'écarquillai les yeux et mon souffle resta bloqué dans ma poitrine. J'étais partagée entre l'espoir et le découragement. L'espoir car, si j'acceptais, cela me permettrait de faire d'une pierre deux coups, et le désespoir, car je savais que les métamorphes n'accepteraient jamais. Même si c'était leur meilleure chance de retrouver les leurs, jamais ils ne voudraient impliquer un « humain », d'autant plus si celui-ci était un flic.

— J'aimerais beaucoup vous répondre, oui... mais ce n'est pas à moi d'en décider et j'en suis désolée, lui répondis-je gentiment avant de m'éloigner doucement de lui et de lui tourner le dos.

Soudain, l'air devint lourd et je sentis des picotements me parcourir tout le corps. Une sensation familière d'air chaud et de sous-bois me percuta violemment avec une force jamais égalée jusqu'à présent, comme si elle faisait partie de moi et me submergeait. Je ne pus retenir un hoquet de surprise et mon corps me parut soudain trop grand pour ma peau. Les fourmillements s'intensifièrent et je fus parcourue de frissons incoercibles de la tête au pied. Au moment où je ne pensais plus pouvoir tenir devant ce trop-plein de sensations, elles cessèrent brusquement. Alors que j'allais me retourner pour voir si l'inspecteur s'était aperçu de quelque chose, Jude apparut devant moi et pénétra dans la clairière, précédé d'une onde de colère presque palpable. Interdite et perdue devant son comportement, je tentai de l'interroger du regard mais ne récoltai qu'un coup d'œil furieux pour seule réponse.

— Ne faites pas un pas de plus et posez votre arc à terre... Tout de suite !

L'ordre, assené d'une voix claire et ferme, claqua comme un coup de fouet.

Je pivotai vers l'inspecteur pour le voir tenir Jude en joue, d'un air aussi déterminé que décontracté. Le moins que l'on puisse dire, c'était qu'il était rapide ! Tellement qu'il avait dû anticiper son geste. Avait-il ressenti quelque chose ?

Jude s'arrêta et leva les mains devant lui sans prononcer un mot, un sourire tout sauf sympathique sur les lèvres.

— Qui êtes-vous ? Et je le répète, posez votre arc à terre !

— Vous revenez déjà sur votre proposition ? Je croyais vous avoir entendu dire à Christina que vous ne poseriez pas de questions. Eh bien, il se trouve que je fais partie du package « pas de questions », dit Jude d'un ton moqueur, un petit sourire suffisant sur les lèvres. Allons-nous déjà avoir la preuve de votre manque de parole ?

— Je ne vous connais pas et ne vous permets pas de m'insulter, rétorqua Worth d'une voix dure teintée de colère. Pour la dernière fois, posez cet arc immédiatement !

— Ou sinon ? Je ne vous menace nullement, contrairement à vous, dit-il d'un ton provocateur alors qu'il avançait d'un pas, les mains bien en vue devant lui.

Worth se raidit, prêt à tirer.

— Non arrêtez ! m'écriai-je en me précipitant entre les deux hommes. Inspecteur, vous pouvez baisser votre arme, il est avec moi. Il a peut-être un caractère impossible, mais il ne vous fera pas de mal.

J'en profitai pour décocher un regard d'avertissement exaspéré à Jude pour qu'il arrête de provoquer Worth. Je ne comprenais pas son comportement. S'il s'était montré, c'est qu'il voulait discuter avec l'inspecteur, alors pourquoi le provoquer de la sorte ?

— Ce n'était pas pour lui qu'il s'inquiétait, n'est-ce pas ? demanda Jude d'un ton doucereux.

— Je ne vois vraiment pas où vous voulez en venir et je ne sais toujours pas qui vous êtes !

L'inspecteur commença à baisser son arme, sans pour autant lâcher son adversaire des yeux. Il fallait reconnaître qu'il avait de quoi être nerveux. Jude était particulièrement intimidant dans son rôle d'archer vengeur.

— Je suis l'homme qui peut décider d'accepter votre proposition ou non... et pour le moment, je pencherais plutôt vers le non, le provoqua-t-il encore.

Ils s'arrêtèrent tous les deux à environ un mètre l'un de l'autre et s'observèrent en silence pendant une bonne minute. Entre les deux hommes, une tension palpable épaississait l'air et rendait le spectacle électrique. Jude avait peut-être besoin de marquer son territoire, comme le faisait les mâles dominants chez les animaux, mais Worth n'avait décidément pas l'intention de se laisser intimider. Il était temps d'intervenir.

— Quand vous aurez cessé votre combat de coqs tous les deux, on pourra peut-être passer aux choses sérieuses, qu'en pensez-vous ? Parce que le temps continue de filer et nous n'avons toujours pas le moindre début d'explication plausible. Alors, vous vous mettez d'accord rapidement, ou je tente ma chance sans vous !

Je les foudroyai du regard à tour de rôle et attendis que le message donne lieu à une réaction, si possible raisonnable, de leur part.

— Très bien, lâcha enfin Worth. De toute évidence nous avons un problème de confiance mutuelle, puisque vous rodiez dans les bois et que j'ai moi-même des hommes postés à la lisière de la forêt, au cas où. Donc la question est : où en sommes-nous exactement et allons-nous nous entraider ou plutôt nous tirer dans les pattes ?

Je regardai Jude intensément, l'enjoignant silencieusement d'accepter la proposition de Worth. Il était évident que nous avions besoin d'aide.

— Si nous vous parlons de cette... histoire, commença Jude avant de s'interrompre brutalement.

Il prit une grande inspiration, avant de se retrouver arc à la main et flèche encochée, prêt à tirer. Son mouvement avait été tellement fluide et rapide que je doutais même de l'avoir vu bouger. C'était la première fois qu'il laissait transparaître sa véritable nature, qui plus est, devant un flic. Il devait y avoir un gros problème. Il baissa les bras, ferma les yeux et sembla se concentrer intensément. C'est alors qu'un vent violent se mit soudain à souffler, manquant de me faire perdre l'équilibre.

Ça alors ! Je n'avais donc pas rêvé l'autre soir avant l'attaque. Il pouvait, d'une certaine manière, agir sur les éléments. Je restais un instant interdite à le fixer tellement j'avais du mal à en croire mes yeux. Jude, qui venait de rouvrir les siens, me lança un regard d'avertissement. Ce n'était pas le moment d'attirer l'attention de l'inspecteur sur des particularités que nous préférerions qu'il ignore. Je lui fis un petit signe de tête et il reprit alors son arc en main avant de se diriger vers les arbres.

— Il faut qu'on bouge... tout de suite ! Quelque chose arrive.

— Quelque... commença l'inspecteur, qui avait sorti son arme en voyant Jude faire de même, le regard alerte et la respiration vive.

— Pas le temps. Suivez-moi et essayez de faire le moins de bruit possible. Il faut que l'on sorte de cette forêt.

Il s'enfonça entre les arbres par où nous étions arrivés et nous le suivîmes sans un bruit, le vent sur nos talons.

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant