Chapitre 11-2

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Je trébuchai, me rattrapai tant bien que mal à la voiture et hésitai une fraction de seconde... une de trop. Un nouveau sifflement retentit, suivi du bruit d'un nouvel impact métallique, et je sentis Jude me pousser une nouvelle fois.

— Mais cours, bon sang ! Barre-toi d'ici !

Je l'entendis pousser un grognement étouffé, mais résistai à l'envie de regarder de son côté et pris enfin mes jambes à mon cou. J'hésitai encore un bref instant à jeter un coup d'œil pour voir comment il s'en sortait, quand une nouvelle détonation m'incita à reprendre ma course sans me retourner.

Je courais au hasard des rues et des ruelles de plus en plus sinistres, sans vraiment faire attention où j'allais. De toute manière, j'aurais pu tourner en rond pendant des heures sans même m'en rendre compte tellement cette nuit sans lune me donnait l'impression que tous les bâtiments se ressemblaient.

J'eus la sensation étrange que le temps s'arrêtait. Ce moment particulier, où tout semble se dérouler à une vitesse folle, mais comme au ralenti. Je poursuivis ma course comme une automate avec le sentiment désagréable et inquiétant d'entendre des bruits de pas derrière moi, sans parvenir à déterminer s'ils étaient réels ou non. J'espérai que c'était Jude qui me suivait, mais ce qui me restait de raison me murmurait que c'était peu probable. Il ne se serait pas contenté de me suivre au risque de m'inquiéter, il serait simplement venu me rejoindre.

Au bout d'un moment, mon corps me trahit et je fus contrainte de ralentir. Je me cachai derrière des bennes à ordures malodorantes, afin de reprendre mon souffle et d'essayer de déterminer où je me trouvais. Courir comme ça sans but n'était pas une solution à long terme.

Je m'accroupis, la main serrée sur mon point de côté, et essayai de ralentir ma respiration saccadée. J'avais beau ne pas être une grande sportive, j'avais plus de souffle que ça d'ordinaire. Une fois celui-ci retrouvé, je tentai de déterminer par tous les moyens à ma disposition si j'étais toujours poursuivie et surtout par qui... ou par quoi ? C'est vrai après tout, cette histoire était tellement dingue, que ça pouvait être n'importe qui. On ne les avait même encore jamais vus. À croire que nous étions poursuivis par des chasseurs fantômes. Vu ma veine actuelle, ça serait bien du domaine du possible. Mais qu'est-ce qu'ils pouvaient bien me vouloir à la fin ?

Secouant la tête de frustration, je fermai les yeux et tentai de faire le vide dans mon esprit, de reproduire l'état de communion atteint grâce à Jude. J'essayai d'ouvrir mon esprit aux perceptions extérieures, non sans une certaine appréhension, perdue ainsi en pleine ville, sans savoir à quoi m'attendre.

Je ne pouvais empêcher mon corps de trembler et mon cerveau semblait être aux abonnés absents, et puis pourquoi je faisais ça ? Ce n'est pas comme si ça pouvait me servir à quelque chose. En fait, je ne savais même pas exactement en quoi cela consistait. Je captais quoi au juste, les émotions ou les pensées ? Et de qui ? Des animaux, des métamorphes, des humains ? Je m'accroupis en prenant ma tête entre mes mains. J'étais en train de partir à la dérive. Il fallait que je me calme et que je retrouve Jude. Sans lui, je ne maîtrisais rien. C'était trop nouveau pour moi et ce serait certainement plus utile que ce que j'étais en train de faire, qui de toute évidence ne menait à rien.

Quoiqu'il me sembla « sentir » quelque chose. Comme une sorte de présence à la périphérie de mon esprit, une sorte de douce chaleur blanche qui sentait bon le lait et la fourrure. C'était vraiment curieux, car je ne sentais pas avec mon nez, mais avec mon esprit. Intriguée, je me dirigeai vers la source de cette sensation et essayai d'envoyer un message apaisant autour de moi. Je n'eus pas à aller bien loin et découvris ce que je cherchais sous un tas de vieux chiffons et de cartons abandonnés, lorsque je contournai la benne voisine. C'était une maman souris et ses bébés. Je restai un instant sous le charme, puis tentai de lui faire comprendre mentalement que je ne lui voulais aucun mal, avant de replacer les chiffons comme je les avais trouvés.

Bon d'accord, cela ne m'était d'aucune utilité dans le cas présent, mais cette expérience avait au moins eu l'avantage de me remettre les idées en place et une concentration nouvelle pour continuer. J'essayai à nouveau de déceler le moindre piège éventuel, mais de façon plus conventionnelle cette fois-ci, et risquai simplement un coup d'œil discret aux alentours.

Ne décelant rien de suspect, j'entrepris de retourner prudemment sur mes pas, en espérant croiser Jude sur mon chemin. Son absence commençait à m'inquiéter et je sentais la panique me gagner. Après avoir tourné en rond sans résultat, je m'arrêtai à l'ombre d'un porche et tentai de me calmer. Quand je la sentis... une faible odeur de sang et comme une sensation « d'air chaud » qui me sembla malgré tout familière dans toute cette étrangeté. Je n'hésitai qu'un instant et partis silencieusement en longeant les murs.

La piste me conduisit devant un petit local électrique miteux orné d'une porte défoncée couverte de tags obscènes. L'odeur âcre de l'urine me prit à la gorge, mais fut vite supplantée par celle du sang qui devenait de plus en plus forte à mesure que je me rapprochais prudemment de la petite construction. Elle était en fait tellement envahissante, qu'elle éclipsait tout, même la sensation familière qui m'avait menée jusqu'ici. Ma raison me hurlait que c'était un piège ! Tandis qu'une autre partie de mon cerveau savait sans l'ombre d'un doute que je devais ouvrir cette porte. J'étais tiraillée entre ces deux compulsions, complètement perdue.

C'est à cet instant que la pluie se mit à tomber à verse, me trempant rapidement jusqu'aux os. Je me ruai sur la porte, n'ayant à présent presque plus qu'une seule idée en tête : me mettre à l'abri du déluge. Après tout s'ils avaient vraiment voulu me capturer ou m'éliminer, ce serait sans doute déjà fait. Je poussai donc le battant et m'apprêtai à le rabattre aussitôt derrière moi, lorsque mon regard tomba sur une forme indistincte étendue sur le sol. Je me plaquai instinctivement contre le mur de gauche, le souffle court et les yeux écarquillés. 

Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant