Chapitre 36-1

7.3K 990 82
                                    


Je fus près de lui avant Adam. De près, les dégâts infligés à son dos semblaient considérables. Je détournai le regard car la vue de ses blessures me faisait trop mal au cœur et allai m'accroupir près de sa tête. Ses cheveux collés par la sueur lui tombaient en paquets devant les yeux, si bien que je ne pouvais savoir s'il avait ou non perdu connaissance. Je les écartai le plus délicatement possible de son visage et son regard se vrilla au mien. Au moins il était conscient. Il scruta mon bras droit et ma joue d'un regard douloureux, puis m'agrippa le poignet de ses deux mains entravées afin de me faire pivoter pour examiner mon flanc et mon bras gauche. Ses yeux s'emplirent d'une tristesse et d'une culpabilité qui me firent mal au cœur. Il m'attira à lui jusqu'à ce que mon visage ne se trouve plus qu'à quelques centimètres du sien, puis il me chuchota à l'oreille.

— Pourquoi ?

Il me fixait intensément, cherchant apparemment à comprendre mon geste rien qu'en me fixant. Avant que je n'aie le temps de lui répondre, il détourna ses yeux des miens lorsqu'Hannah s'approcha, avant de s'arrêter à quelques centimètres de nous.

— Ils sont tous partis, tu peux te relever maintenant, dit-elle tout en lui jetant une petite clef comme s'il était un chien.

— Non mais c'est quoi ton problème, à la fin ? éructai-je en me levant d'un bon pour lui faire face.

Je lui en voulais tellement de son comportement de garce et de sa froideur que je n'avais qu'une envie : lui refaire le portrait ! Néanmoins, l'ombre de tristesse mêlée de douceur qui passa sur son visage au moment où son regard se posa sur le dos de Jude me déconcerta assez pour me faire hésiter.

— J'en ai simplement ma claque de tout ce cinéma, dit-elle en me tournant royalement le dos, avant qu'elle ne commence à s'éloigner sans un regard en arrière.

Je la regardai partir, abasourdie par son comportement, quand un grognement sourd me fit tourner la tête vers Jude qui essayait péniblement de se redresser seul en haletant de douleur.

— Je crois que je n'y arriverai pas... sans aide, nous dit-il d'une voix essoufflée en nous montrant ses mains encore attachées.

Adam s'empressa de le libérer, puis nous ne fûmes pas trop de deux pour l'aider à se relever sans lui faire trop mal, avant de le conduire jusqu'à son studio. Une fois à l'intérieur, il refusa de s'allonger et préféra s'assoir en grimaçant sur le bord du lit. Il avait beau avoir la respiration difficile et l'air d'être au bord de l'évanouissement, ni Adam ni moi n'avions réussi à lui faire entendre raison. Hannah fit alors irruption dans la pièce sans frapper, ferma la porte derrière elle et s'immobilisa, le regard rivé sur Jude et les sourcils froncés. À voir sa tête, il y avait quelque chose qui clochait. Quant à Adam, il avait l'air terriblement mal à l'aise.

— Jude, je suis désolé je... j'aurais... bredouilla Adam des trémolos dans la voix sans parvenir à terminer sa phrase.

— Tu as prévenu Christina et apparemment c'était la chose à faire, donc cesse de t'en vouloir et de t'inquiéter. Tu n'y es pour rien de toute façon, et ce ne sont pas quelques coups de fouets qui vont inquiéter Jude, il en a vu d'autres !

Hannah n'avait pas bougé de devant la porte et avait répondu à Adam sans quitter un instant Jude des yeux. Adam sursauta comme si elle l'avait giflé et se mit à regarder ses chaussures avec application.

— Bravo pour le tact Hannah, tes progrès font plaisir à voir ! raillai-je.

Cette espèce de sociopathe commençait vraiment à me courir.

— En revanche, à voir ta tête, tes blessures semblent être plus graves qu'elles ne le devraient. Pourquoi ? continua-t-elle comme si je n'étais pas là.

— Merci Adam, pour ton aide et ton soutien, et comme l'a dit Hannah, j'en ai vu d'autres, souffla péniblement Jude. Vas-y. Sinon Charles va se poser plus de questions que nécessaire.

Il essayait de faire bonne figure, mais ses muscles crispés et sa voix hachée ne trompaient personne. Ils échangèrent un petit sourire et Adam s'en alla. À l'instant où il eut quitté la pièce, je vis Jude s'affaisser. Certes pas beaucoup, mais assez pour que je le remarque, et Hannah aussi apparemment puisqu'elle commença à se rapprocher de lui d'un air soupçonneux.

— Je ne te retiens pas, Hannah, lui dit-il d'une voix dure.

— Je ne partirais pas sans Christina, et tu le sais très bien ! Maintenant, montre-moi ton dos.

Jude émit un grognement frustré et la fusilla du regard.

— Comment ça, tu ne partiras pas sans moi ? m'offusquai-je.

— Tu ne croyais quand même pas t'en tirer comme ça après ta petite prestation de tout à l'heure, quand même ? ricana-t-elle en me toisant d'un air suffisant. Charles veut te voir et m'a demandé de te ramener.

Un frisson d'appréhension m'envahit.

— C'est pour ça que je ne voulais pas t'impliquer là-dedans ! me lança Jude avec agressivité comme si tout était de ma faute.

— Excuse-moi de t'avoir aidé ! m'emportai-je. Mais ne t'inquiète pas, la prochaine fois je m'abstiendrai !

Je fis deux pas rageurs en direction de la porte et grimaçai lorsque mes blessures se rappelèrent à mon bon souvenir.

— Hors de question que je te laisse affronter la colère de Charles seule et blessée par-dessus le marché ! gronda-t-il.

Ma colère redoubla et je me retournai brusquement vers lui pour lui dire ma façon de penser, lorsque les mots moururent sur mes lèvres à la seconde où je posai mes yeux sur lui. Il avait essayé de se lever seul et n'y était, de toute évidence, pas parvenu. Gisant sur le lit, à moitié affaissé sur le flanc, il essaya de nous jeter à toutes les deux un regard noir quand il nous vit nous précipiter vers lui, mais ne réussit pas vraiment à être convainquant.

— Ah oui, c'est sûr tu vas m'être d'une grande aide dans ton état ! le raillai-je plus gentiment que je ne l'aurais voulu. Alors arrête de faire le macho et laisse-nous t'aider.

Seul un grognement outré me répondit.

— Même si ça me fait mal de l'admettre, elle a raison. Dis-nous ce qui se passe ? lui ordonna Hannah.

Jude se redressa difficilement et toujours sans notre aide, son regard meurtrier toujours fixé sur nous. Quelques minutes inconfortables passèrent, puis quand il se rendit compte qu'il ne se débarrasserait pas de nous aussi facilement, il capitula dans un grand soupir.

— Charles a tout mis en œuvre pour que ma guérison soit plus lente que d'ordinaire et que je garde des cicatrices. Pour que mon humiliation soit totale, nous sortit-il du ton qu'il aurait employé pour discuter de la météo.

Comment avait-il bien pu s'y prendre ? Mais comme cette question qui me brûlait les lèvres aurait manqué de tact, je préférai me taire. Je restai donc sans voix, ne sachant pas quoi dire et me demandant même, vu leurs pratiques barbares, si ce n'était pas quelque chose de courant en pareille situation. J'eus rapidement la réponse à ma question silencieuse lorsque je vis l'incrédulité puis l'horreur passer sur le visage d'Hannah d'ordinaire si impassible. Non, apparemment cela ne se faisait pas !

— Je ne comprends pas ton air surpris ? Ton père me hait depuis... toujours, et de son point de vue tordu, je l'ai trahi. Connaissant son caractère, ça ne devrait pas t'étonner ! ricana-t-il.

— Je pensais que c'était une mascarade pour garder la face et sa réputation de chef de clan ! Je croyais que tu étais de mèche avec lui, qu'il avait approuvé ton plan mais ne pouvait pas risquer que cela se sache, sans t'en vouloir réellement...

Elle avait enfin perdu son air froid et détaché et semblait complètement perdue. Jude partit d'un petit rire sans joie.

— C'est un sociopathe narcissique qui ne supporte pas qu'on lui résiste, et je l'ai défié ouvertement. Il s'est dit que c'était là une bonne occasion de faire un exemple. Que ce soit sur moi n'a fait qu'ajouter à son plaisir, et tu le savais parfaitement.


Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant