Chapitre 36-2

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Son ton accusateur me blessa les oreilles mais pas autant que celles d'Hannah, vu la grimace qu'elle fit à l'entente de ces paroles dures.

— Mais c'est ridicule, tu as tout risqué pour sauver les nôtres ! dit-elle tout bas comme pour elle-même.

Puis elle se reprit, se redressa et retrouva son attitude de garce sociopathe aussi vite qu'elle avait disparu.

— Si tu savais ce qui t'attendait, pourquoi es-tu revenu ?

Une sacrée bonne question. La première que je m'étais posée d'ailleurs, après avoir reçu le coup de fil d'Adam, et j'étais assez pressée d'entendre la réponse.

— Pour des raisons qui ne te regardent pas ! Maintenant, va-t'en.

— Tu sais très bien que je ne peux pas.

— Même après ce que je viens de te dire, tu conduirais en toute connaissance de cause Christina devant ton père en sachant qu'il est furieux ? Finalement, ça ne m'étonne même pas ! finit-il par dire avec un petit rire triste tout en secouant la tête.

Hannah ne dit rien, mais ne put cacher complètement le mal que lui firent ces paroles et se contenta de rester là à nous regarder d'un air buté.

— Tu peux au moins aller m'attendre dehors ? Il n'y a qu'une porte et je te promets de ne pas m'enfuir par la fenêtre ! lui dis-je d'un ton narquois.

Jude allait protester mais je le fis taire d'un regard éloquent. Hannah se contenta d'un signe de tête et sortit enfin de la pièce. Lorsqu'elle fut hors de mon champ de vision, je poussai un petit soupir de soulagement. Cette fille me mettait vraiment mal à l'aise.

— Moi aussi, ça m'intéresse, dis-je en me retournant lentement vers lui. Pourquoi es-tu revenu si tu savais ce qui allait t'arriver ? Tu es maso, peut-être ?

— Ça ne...

— Et ne me dis pas que ça ne me regarde pas ! Pas après que je me suis mouillée pour toi.

J'étais à présent aussi près de lui que le lit sur lequel il était assis me le permettait et aussi menaçante que je le pouvais.

— Là encore je ne t'avais rien demandé ! me dit-il durement et avec colère.

Je m'apprêtai à lui répondre sur le même ton, quand je croisai son regard hanté et plein de culpabilité, posé sur ma joue. Cette dernière s'était remise à saigner et je me détournai pour lui cacher le plus gros des dégâts.

— Tu n'y es pour rien, lui dis-je doucement, alors qu'il refusait une nouvelle fois de soutenir mon regard.

— C'était le prix à payer pour son aide, et comme je n'avais pas beaucoup d'autres options... j'ai accepté, finit-il par me confier d'une voix basse.

— Son aide pour quoi ?

Mais au moment où je posais la question, je sus. Son aide pour nous sauver. Une fois Aria hors de danger, les autres, il s'en fichait pas mal. Je me sentis glisser doucement vers le sol et me retrouvai assise à côté du lit, le dos contre le mur, choquée, découragée, exténuée, et le pire de tout... coupable.

— C'est encore de ma faute. Depuis que tu me connais, tu as dû être blessé plus de fois que dans tout le reste de ta vie. Pas étonnant que tu ne me portes pas dans ton cœur, m'entendis-je dire d'une voix faible et plaintive que je détestai aussitôt.

Au lieu de me répondre, il se laissa glisser à son tour avec une extrême lenteur au pied du lit, et s'assit maladroitement en face de moi. Il m'attira doucement contre lui et se mit à me caresser les cheveux pour me réconforter. Son contact me secoua plus violemment qu'une gifle. Si quelqu'un avait besoin d'être réconforté, c'était plus lui que moi. J'essayai de me dégager en douceur mais ne réussis qu'à lui faire mal. La culpabilité et la honte revinrent en force.

— Arrête, me dit-il en grimaçant alors qu'il m'agrippait fermement le poignet. Je l'ai fait pour te sauver la vie. Je te devais bien ça. Et pour ôter tout doute de ton esprit, sache que je n'apprécie pas particulièrement la douleur, dit-il en rigolant doucement. Charles avait seulement oublié de me préciser tout le programme des réjouissances.

— Curieusement, pourquoi cela ne m'étonne pas ! ironisai-je tout en continuant à essayer de me dégager de sa prise.

— Arrête de gigoter, tu vas aggraver tes blessures. Et c'est totalement faux que je ne te porte pas dans mon cœur, dit-il dans un souffle alors qu'il approchait doucement son visage du mien.

Puis ses lèvres frôlèrent les miennes et finalement, il m'embrassa. Notre baiser fut lent et doux et me sembla ne durer que quelques secondes. Je ne m'y attendais tellement pas qu'une fois nos lèvres séparées, je restai un instant sans réagir à le fixer bêtement. C'était tout moi, ça. Je venais de me rendre compte que je fantasmais inconsciemment sur ce mec depuis des jours, et maintenant qu'il m'embrassait je restais là, figée comme une plante verte !

— Tu es en train de te vider de ton sang sur le tapis, lui fis-je remarquer d'une voix rauque.

— Toi aussi ! me répondit-il doucement avec un petit sourire en coin, me montrant qu'il n'était pas dupe.

J'étais tellement gênée de le regarder dans les yeux que je m'étais mise à fixer le sol à la place. Cette fois-ci, je me dégageai de sa prise avec succès et me levai pour le contourner d'un pas décidé avant qu'il n'ait le temps de m'en empêcher. Son dos était dans le même état qu'après la séance de flagellation. Aucune cicatrisation n'avait commencé et le sang coulait paresseusement de ses nombreuses blessures. Je fermai les yeux quelques secondes, révoltée par ce spectacle, puis me dirigeai sans un mot vers la salle de bain à la recherche d'une trousse de premier secours. Ça commençait à devenir une habitude.

— Pourquoi ne cicatrises-tu pas ? lui demandai-je tout en désinfectant ses plaies. Qu'est-ce que Charles t'a fait exactement ? continuai-je tout doucement en essayant de maîtriser ma voix tremblante.

— Il m'a privé de sommeil et affamé, puis il s'est assuré que mon corps ait assez de blessures internes à réparer pour que les superficielles passent au second plan et aient ainsi le temps de laisser des marques.

Sa voix était maîtrisée, mais je me rendais bien compte à son ton que les mots avaient du mal à sortir. Cet homme était vraiment un monstre. Je me mis à trembler tellement fort de rage contenue que j'en laissai échapper le coton imbibé de désinfectant que je tenais à la main.

— Comment se fait-il que personne ne s'en soit aperçu ?

Je continuai mes soins malgré mon manque flagrant de concentration et l'interrogeai.

— J'étais enfermé et je te rappelle que tout le monde me prenait pour un traître...

Il ne finit pas sa phrase, mais ce ne fut pas nécessaire. En résumé, tout le monde se fichait bien de ce qui pouvait lui arriver entre les mains de Charles. Il se mit à trembler de tous ses membres et ne put retenir de faibles gémissements. Les larmes me montèrent aux yeux et, heureusement, dos à moi, il ne put pas les voir. Je l'aidai à remonter doucement sur le lit puis le fis s'allonger sur le ventre avant d'aller lui chercher un verre d'eau et quelque chose à grignoter. Je l'aidai à redresser un peu la tête pour qu'il puisse boire et manger sans s'étouffer, puis le réinstallai confortablement. Pour finir, je m'assis par terre à côté de la tête de lit et le fixai droit dans les yeux.

— Quel genre de blessures internes ? demandai-je d'une voix que j'espérais neutre, bien qu'intérieurement je brûlais de rage et de culpabilité.

— Ça n'a plus d'importance, tu ne crois pas ? me répondit-il gentiment tout en tendant doucement la main pour me caresser le visage.

Il avait raison, le savoir ne me servirait à rien, mais sans vraiment pouvoir me l'expliquer, j'en avais besoin. Peut-être pour ne pas perdre de vue quel dangereux sadique avide de pouvoir était Charles lors de ma prochaine confrontation avec lui.

— Je sais, mais j'ai besoin de savoir, lui répondis-je aussi doucement que lui tout en posant ma main sur la sienne.

— Pour t'en vouloir encore plus ensuite alors que tu n'y es pour rien et que tu ne peux rien y faire ? me demanda-t-il dans un soupir et d'une voix légèrement accusatrice. 


Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant