Chapitre 15-1

9.5K 1K 104
                                    




Je fis le trajet jusqu'au commissariat, seule et dans une voiture d'emprunt, la mienne étant criblée d'impacts de balles que j'aurais eu bien du mal à expliquer. J'étais d'une humeur de dogue, sûrement due à la fatigue et au stress. Ajouté à cela que je n'avais croisé personne depuis mon réveil, même pas Jude, cela n'arrangeait pas mon caractère. Je n'avais trouvé qu'une enveloppe blanche et impersonnelle, posée sur le bar dans la cuisine. Elle contenait des clefs de voiture et des indications pour la trouver. Une vraie pestiférée !

Quand je repensais à la façon dont ils m'avaient traitée... Non mais qu'est-ce que je pouvais être bête ! pensai-je en donnant un coup sur le volant. Je m'étais mise dans une situation impossible pour eux et je subodorai de plus en plus que ma vie ne serait plus jamais la même, et tout ça pour quoi ? Pour des gens qui avaient volontairement ignoré mon existence pendant près de trente ans. Je devais vraiment être maso !

Mes ruminations déprimantes furent mises au second plan lorsque j'arrivai en vue de l'horrible bâtiment, qui ne gagnait vraiment rien à être vu de jour. Cette fois, je ne pris pas la peine de m'éloigner et me garai directement sur le petit parking miteux de l'ancien pressing. Une fois devant les portes vitrées, j'eus un instant d'hésitation qui s'évapora presque instantanément sachant que je n'avais pas vraiment le choix. Je pris alors une longue inspiration et entrai, prête à jouer le rôle de ma vie. Ce qui était peu de le dire, car si Gabriel Worth ne me croyait pas, je risquais de gros ennuis. De plus, allez savoir pourquoi, je ne pensais pas que la communauté métamorphe lèverait le moindre petit doigt pour m'aider. Étrange, non ?

Le même planton boutonneux se tenait derrière le comptoir. Il ne dormait jamais ou quoi ? Je n'eus pas le temps d'arriver jusqu'à lui que l'inspecteur apparut comme par magie et me foudroya du regard. Sans même me dire un mot, il tourna les talons et s'enfonça dans le commissariat d'un pas rageur, tout en laissant la porte de communication ouverte derrière lui. Je pris ça comme une invitation, ou plutôt comme un ordre de le suivre, et c'est donc ce que je fis.

Résignée, je ralentis à proximité de la salle d'interrogatoire, persuadée que c'était là qu'il m'attendait, mais je fus surprise de n'y trouver personne. Je continuai donc mon chemin vers son bureau. Les personnes que je croisais ne m'accordèrent pas un regard. Ils paraissaient tous lobotomisés, mais j'imagine que se démener pour faire régner un semblant d'ordre dans un quartier gangréné par les criminels devait faire cet effet à tout le monde à la longue. À tout le monde sauf à « super flic grognon » qui m'attendait assis derrière son bureau, un air tout sauf avenant plaqué sur son visage.

Je m'assis et me mis à fixer mes genoux, mes mains croisées devant moi. Mon premier réflexe avait été de le regarder dans les yeux, mais il fallait que je me garde à tout prix de le provoquer. Jouer les petites filles obéissantes et contrites ne me tuerait pas, mais ce n'était décidément pas dans ma nature.

— Dites-moi ce qui m'empêche de vous arrêter, là, tout de suite ? lâcha-t-il d'un ton chargé de colère dans lequel je décelai tout de même une pointe d'étonnement.

Je préférai m'abstenir de répondre, de peur de l'énerver davantage. Je continuai donc à fixer mes pieds, tout en me tortillant sur ma chaise en espérant que cela rendrait la chose plus crédible.

— Pourquoi n'êtes-vous pas venue hier ? Non... laissez tomber, s'interrompit-il de lui-même en se levant tandis qu'il secouait la tête, visiblement énervé, avant de s'appuyer des deux mains sur le bureau. Vous n'allez pas me répondre de toute façon ! Ce qui m'étonne le plus, c'est que vous soyez revenue aujourd'hui, et c'est la seule raison pour laquelle vous êtes à ce bureau et pas dans une cellule. Oh et puis arrêtez ce petit jeu avec moi ! me dit-il en me détaillant de haut en bas d'un air agacé. Vous n'êtes pas le moins du monde désolée ou terrifiée, alors jouons cartes sur table et cessez de me prendre pour un imbécile !

Il n'avait pas élevé la voix, mais cela ne m'aurait pas fait plus d'effet s'il m'avait crié dans les oreilles. Son ton était lourd de colère et d'incompréhension alors qu'il dardait sur moi son magnifique regard vert qui, pour l'heure, n'avait rien d'amical. Il se trompait sur un point : j'étais terrifiée. Je l'étais depuis le début de cette histoire, même si je refusais de l'admettre.

Une fois n'est pas coutume, je n'en laissai rien paraître, relevai la tête et le fixai droit dans les yeux. Tâchant de faire ressortir toute l'ironie et toute la lassitude que cette situation m'inspirait, je laissai tomber le masque et tant pis pour ma petite comédie.

— Je ne suis pas venue, car je ne pouvais pas, lui expliquai-je simplement. Croyez bien que cela m'a dérangée au moins autant que vous ! Perdre du temps était la dernière chose que je souhaitais. J'ai quand même eu la décence de vous faire prévenir et je suis là maintenant. Alors évitons d'en perdre encore plus, vous ne croyez pas ?

Mon ton calme, mais néanmoins provocateur et légèrement moqueur, ne lui échappa pas et je le vis serrer les dents et les poings tout en fermant les yeux un court instant. C'est ça, compte jusqu'à dix !

— Vous avez raison, allons-y, lâcha-t-il d'un ton accompagné d'un regard me faisant comprendre que nous n'en resterions pas là.

Un peu surprise par sa capitulation soudaine, je le suivis sans réfléchir tandis qu'il me conduisait vers l'arrière du bâtiment, où il poussa une lourde porte métallique, qu'il me tint pour me laisser passer. Nous débouchâmes dans un hangar propre et aéré qui servait à l'évidence de garage, vu le nombre important de voitures de police, banalisées ou non, qui s'y trouvaient. Toujours silencieux, il me conduisit jusqu'à l'une d'elles qu'il ouvrit à distance.

Nous montâmes dans l'un des véhicules banalisés lambda. Une fois derrière le volant, il me demanda quelle direction prendre d'une voix neutre, avant de mettre le contact. Je lui indiquai de prendre la direction de la grande forêt protégée bordant la propriété de Charles. Le silence pesant perdura pendant tout le trajet qui me parut interminable. Je pris garde de lui faire contourner largement le manoir et une fois à bonne distance, lui dis de se garer sur un chemin forestier avant de m'empresser de sortir de la voiture. Voilà, nous en étions à la partie la plus ardue du plan : retrouver cette fichue grotte.

J'essayai de faire discrètement le vide dans mon esprit, alors que je continuais à avancer pour que l'inspecteur ne se doute de rien. Malgré la difficulté de la tâche, je me sentis rassurée quand les sons, les odeurs et surtout les sensations commencèrent à se préciser. Je décelai beaucoup « d'empreintes » animales aux alentours mais je n'avais toujours pas la moindre idée de comment retrouver l'endroit où nous étions quatre jours auparavant avec Jude.

Jude ! Au moment où je me mis à penser à lui, elle fut là, cette sensation d'air chaud inimitable, plus forte et plus présente que jamais. La petite phrase énigmatique et résignée de Jude me revint alors en mémoire : « Tu n'auras aucun problème, crois-moi, je le sens ».

Un peu perturbée par cette réminiscence subite, je me concentrai de nouveau sur la piste de Jude et la suivis en essayant de marcher lentement et de manière hésitante, comme si je cherchais mon chemin. Un exercice long et fastidieux, d'autant plus que tous mes sens me poussaient à courir vers mon but. Se traîner ainsi m'épuisait et me tapait sur les nerfs ! Pas que sur les miens à l'évidence car je sentais, plus que je n'entendais, l'énervement et l'impatience de Worth qui piétinait derrière moi. 



Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant