Chapitre 28-1

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J'avais beau être blessée, épuisée et terrifiée, il fallait impérativement que j'en apprenne plus sur ce qu'il s'était passé, surtout si Aria était saine et sauve. Il me fallait une preuve, une confirmation, sinon j'allais devenir folle. En prime, cela masquerait les bruits de la camionnette, l'autoradio qui beuglait une espèce de bouillie informe et surtout les trois hommes qui parlaient entre eux de la meilleure façon de nous tuer. Tant pis s'ils nous surprenaient, tout valait mieux que de les écouter parler de nous comme si nous étions déjà morts. Worth semblait partager mon point de vue, car nous commençâmes à parler en même temps.

— Est-ce qu'Aria va bien ?

— Alors comme ça, vous êtes des métamorphes ?

Nous réussîmes malgré tout à sourire faiblement, même si le sien ressemblait plus à une grimace de souffrance, mais bon, l'idée était là. Voyant qu'il avait un peu de mal à reprendre son souffle, je décidai de répondre la première.

— Tous ceux qui ont été enlevés, oui. À l'exception de ma colocataire et de moi, chuchotai-je le plus bas possible.

—Vous êtes quoi alors ? demanda-t-il dans un souffle assorti d'un regard méfiant.

— Une erreur de la nature.

Mon ton était aussi amer que moi, mais après tout j'en avais bien le droit.

— Je suis une des leurs, mais je ne me transforme pas.

Il eut l'air surpris mais ne fit aucun commentaire. Au lieu de ça, il répondit à ma première question.

— Oui, elle cherchait Jude, mais il était introuvable à ce moment-là. Je l'ai confiée à un des hommes qui étaient avec moi. C'était lui la panthère noire ? J'ai cru en apercevoir une dans les buissons, je croyais avoir rêvé, mais... ?

L'inquiétude me submergea si rapidement que j'en eus la tête qui tournait.

— Vous avez confiance en cet homme ? lui demandai-je d'une voix un peu paniquée.

— Bien sûr, pourquoi vous me... Comment ont-ils trouvé le traceur ?

Je vis à son expression qu'il avait déjà deviné la réponse et que ça ne lui plaisait pas du tout.

— Quelqu'un leur a dit où il se trouvait, répondis-je d'un ton las et lugubre.

Je vis de la surprise se peindre malgré tout sur les traits de l'inspecteur, aussitôt suivie du déni. Il n'y croyait pas.

— Non, ce n...

— Quelqu'un le leur a dit par téléphone. Je l'ai entendu et ils n'ont même pas hésité une seconde, le coupai-je. Alors avez-vous vraiment confiance en votre homme ?

— Oui. Clarke ne m'a pas quitté pendant toute l'opération et n'a jamais passé un coup de fil. Ça ne peut donc pas être lui.

Je fus soulagée mais seulement un bref instant. Et si ce fameux Clarke la conduisait tout droit au traître... Stop ! Ça ne servirait à rien de se prendre la tête. Je ne pouvais rien y faire dans l'immédiat de toute façon. Autant se concentrer sur notre situation présente, qui n'avait rien de réjouissant.

— OK, comment m'avez-vous trouvée, et qui sont ces types ?

Je baissai encore plus la voix car la brute à queue-de-cheval venait de se retourner vers nous depuis le siège du milieu.

— On est bavards là-derrière, à ce que je vois. Allez-y, discutez tant que vous voudrez ! Ce n'est pas ça qui vous sauvera de toute façon.

Je ne pouvais pas le voir mais j'entendais son sourire dans sa voix. J'attendis d'être sûre qu'il se soit retourné pour réitérer ma question.

— Grâce à Jude, évidemment, me répondit-il malgré une respiration sifflante qui ne me disait rien qui vaille. Nous ne savions pas comment il faisait, mais il semblait vous suivre à la trace. Maintenant, je comprends un peu mieux, mais sur le moment nous étions plus que sceptiques. Cela nous a conduit à cet ancien bâtiment industriel censé être vide. Quand nous sommes arrivés et que nous avons vu l'installation high-tech et hyper sécurisée, nous en avons déduit qu'il y avait de fortes chances pour qu'il ait raison et que ce soit là qu'ils vous retiennent. Même si Jude nous l'affirmait sur tous les tons depuis au moins une heure, il me fallait des informations. Je ne pouvais pas foncer tête baissée et j'ai bien fait ! Il se trouve que ce type, le professeur Clayton Shaw, en plus d'être un brillant généticien, bosse pour le gouvernement sur des projets top secret auxquels, évidemment, je n'avais pas accès.

— Vous plaisantez ?

Mais à l'instant où les mots sortirent de ma bouche, je réalisai que cela avait toujours été une possibilité. J'avais juste été trop naïve pour le croire.

— À votre avis ? Nous avons quand même « sonné à leur porte » sous un faux prétexte pour essayer de pénétrer à l'intérieur. Ils nous ont clairement fait comprendre que sans mandat nous n'aurions rien et que, si nous ne partions pas dans la seconde, ils en référeraient à mes supérieurs. Ce qui, vu ses relations, était tout à fait possible et plus que problématique puisque nous n'étions pas censés être là. Nous avons donc fait semblant de partir et j'ai renvoyé tous mes hommes sauf deux, demandant aux autres de faire des recherches plus approfondies sur cet homme. Il en est ressorti qu'il a effectivement participé à des recherches pour le gouvernement mais que cela est terminé depuis plus d'un an. Depuis, il a fait profil bas et vole sous les radars. Je ne sais pas ce qu'il fabrique dans ce bâtiment, mais a priori c'est pour son propre compte.

Cette longue explication l'ayant épuisé, il ferma les yeux et je crus qu'il s'était évanoui. La bonne nouvelle était que la situation n'était peut-être pas si désespérée. Si nous avions vraiment affaire à un savant fou, le gouvernement n'avait peut-être rien à voir là-dedans et, avec un peu de chance, notre précieux secret était encore sauf.

— C'était un labo, lui dis-je. Ils y faisaient des expérimentations sur les animaux et sur les métamorphes. Mais comment ont-ils pu découvrir leur existence ?

C'était une question qui n'avait pas de réponse et nous restâmes un instant à nous regarder en silence.

— Vous savez où ils nous emmènent ?

— Je sais juste qu'ils appellent ça la ferme et qu'ils ont l'intention de nous chasser comme des animaux... Moi en particulier.

— Et qu'est-ce qui vous vaut cet honneur plus que discutable ? me demanda-t-il avec un petit sourire, suivi d'une toux suspecte qui le laissa à bout de souffle et les yeux clos.

— J'ai tué son fils.

Worth eut un petit sursaut de surprise, mais ne fit aucun commentaire. J'avais énoncé cela comme un fait, d'un ton froid et impersonnel. Hors de question que ça me touche, pas ici, pas maintenant.

— Vous devriez arrêter de parler et essayer de reprendre des forces. Vous n'avez pas l'air en forme, ajoutai-je pour changer de sujet.

—C'est l'hôpital qui se moque de la charité ! Mais vous avez sans doute raison. Par simple curiosité, comment l'avez-vous tué ?

— Je l'ai étranglé avec mon soutien-gorge.

Même si j'avais, à dessein, déformé la vérité pour protéger Féline, un frisson me parcourut à la mention de cet horrible souvenir. Il fallait vite que je pense à autre chose ! L'expression choquée de l'inspecteur réussit à me détourner de mes souvenirs sanglants.

— Vraiment ? me demanda-t-il d'un ton incrédule.

Je ne répondis pas, un petit sourire crispé sur les lèvres.

— Est-ce qu'il vous a...

Il n'avait pas fini sa question, mais je savais très bien à son ton grave et inquiet ce qu'il se demandait. Pour que j'aie pu l'étrangler avec mon sous-vêtement, c'est que je ne l'avais plus sur moi, donc...

— Non, il n'en a pas eu le temps.

— Décidément, vous êtes une femme pleine de surprises ! 


Féline. Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant