Falkjar

Chapitre 25 : Sentences Suprêmes (partie 3)

Leurs entraînements diurnes et nocturnes se poursuivaient sans relâche. Elizabeth s'était plongée corps et âme dans sa maîtrise de l'eau, tandis qu'Andy perfectionnait encore et toujours ses illusions. Leurs combats au corps à corps étaient plus violents, plus rapides et précis, plus meurtriers que jamais. En plus de leurs poings les deux jeunes avaient incorporé des dagues à leurs enchaînements redoutables, et se savaient plus prêts que jamais à affronter quelconque ennemi. Ils devenaient de réels guerriers.

Le samedi qui suivit, Elizabeth aperçut Jonathan dans l'enceinte de l'école. Elle se précipita sur lui pour lui dire bonjour, mais il disparut derrière la grille séparant l'enseignement normal des élites avant qu'elle n'eût pu le rattraper, puis rejoint les appartements du Directeur sans lui accorder la moindre attention. Pressée par Andy, elle franchit une fois de plus le portail pour attendre son mentor de pied ferme.

Le changement qui s'était opéré en quelques mois la choqua. Les regards autrefois hagards de ses anciens camarades étaient à présent complètement vides, comme si plus aucune vie ne les habitait. Même la présence des deux magiciens ne put les déstabiliser... comme s'ils étaient imperméables à tout sentiment, à toute émotion. Droits comme des piquets, ils attendaient sans bouger le moindre ordre à exécuter. Comme des coquilles emplies de pouvoir brut... des coquilles vides incapables de penser. Le Directeur les avait complètement déshumanisés, presque lobotomisés... mais dans quel but ?

Elle put sentir le malaise d'Andy derrière elle alors qu'elle-même était parcourue de frissons incontrôlables. Elle se félicitait d'avoir réussi à se faire transférer vers l'enseignement normal, de ne plus faire partie de ce groupe. Aurait-elle connu le même destin funeste, autrement ? Ou aurait-elle réussi à échapper à l'influence du Directeur ? Tout ce qu'Elizabeth savait était qu'elle aurait fait n'importe quoi pour Jonathan. Quitte à devenir comme eux...

Ce dernier ressortit du bureau et descendit les marches des autres escaliers, ceux donnant sur rien d'autre que le lac et les montagnes escarpées, loin de toute présence. Sans se poser de question la magicienne le suivit, bien décidée à obtenir des réponses. Un espace sans témoin était parfait pour discuter avec son mentor.

Elle attrapa l'épaule de Jonathan sitôt à portée de main, comme pour l'obliger à lui faire face. Ce dernier se retourna vivement. Il saisit le bras de la jeune fille d'une main, l'écarta avec violence, et saisit de son autre le cou de la jeune fille. Son étau se resserrait avec rapidité. Elizabeth suffoquait, incapable de reprendre sa respiration, incapable de bouger, incapable de penser...

Andy, armé d'un bout de bois, frappa avec force le bras de Jonathan. Il la relâcha sous l'impact. Elizabeth tomba au sol. Il avait essayé de la tuer. Andy et Jonathan en étaient venus aux mains. Le bout de bois avait disparu. Il avait essayé de la tuer. Tous deux utilisaient maintenant la magie, et Andy avait sorti une dague. Il avait essayé de la tuer. La dague était factice, Andy était plus musclé mais l'expérience de Jonathan prévalait sur la force du jeune homme. Il avait essayé de la tuer. Au bord des larmes, Elizabeth était incapable d'agir. Le regard de l'homme qu'elle pensait son mentor et allié était fou, révulsé, comme elle ne l'avait jamais vu. Il poussait le jeune homme au-dessus de la rambarde, usait de toutes ses forces pour le faire basculer dans le vide. Il essayait de les tuer.

Elizabeth, que le chagrin, la rage et la déception venaient de réveiller, se leva brusquement et se plaça derrière Jonathan. Ses émotions, plus fortes que jamais, avaient déclenché tous ses pouvoirs qui agissaient sans qu'elle n'eût le besoin de les solliciter. Ils savaient ce qu'ils faisaient. N'écoutant que son instinct et leur puissance qui bouillonnait dans ses veines, la magicienne porta ses mains aux tempes de son mentor, et retira la même emprise qu'elle avait sentie prendre possession de Juliette quelques semaines auparavant.