2. L'état des lieux

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[Narrateur : Lucie]

« Et si tu...

— Et si je quoi, Reiji ? ».

A l'instant où je l'avais regardé, un sentiment de défiance s'était emparé de moi. Reiji, le tatoué et futur tatoueur, était venu me rendre visite au secrétariat. C'était pour le moins inopiné. Il était le cerveau de la bande des troisièmes années de Nintaï et avait son trou dans la salle informatique. S'il avait pris la peine d'en sortir, c'était que la discussion en valait la peine.

Il s'assit devant le bureau, étrécit les yeux, lorgna sur les immenses étagères surchargées, placées contre chaque pan de mur et toussota.

« Il nous reste une chance, une seule, d'éviter le carnage entre les classes de ce foutu lycée et hum... Comment dire ? T'es la clé de cette dernière chance.

— Pardon ?

— T'as parfaitement compris ».

J'étais interloquée. Moi ? Depuis mon arrivée je ne servais à rien ni à personne. Je n'étais qu'une secrétaire à temps-partiel qui collectait les piles d'absences injustifiées. Voilà que ce squelette tatoué, en admettant qu'un squelette puisse se faire tatouer les os, me demandait d'intercéder auprès d'Eisei, le chef officieux de l'établissement Nintaï, le Grand Manitou !

Certes j'étais en faveur de la faction de Takeo mais n'était-il pas lui-même en mesure de discuter avec son aîné ? De plus, si Reiji pensait à un émissaire, envoyer un gaillard à l'allure d'agent du KGB comme Okimoto aurait été plus approprié que de parachuter une crevette étrangère.

« Juro et Takeo devraient régler leurs comptes entre eux, sans que personne d'autre ne soit mêlé à leurs querelles.

— Ça, c'est évident. Mais va le dire à Juro ! pesta Reiji. C'est lui qui a commencé à casser les nez des cadets pour les mettre de son côté. Si on le laisse inverser le rapport de force à Nintaï, on se fera tous avoir ! Takeo d'abord, puis Eisei !

— Je ne vois pas en quoi je pourrais intervenir. Ce n'est pas mon problème.

— Tu veux nous aider ou pas ? Tu veux que Kensei soit fier de toi ? Ou tu préfères que Takeo te méprise ?

— Tu y vas un peu fort là ! ».

Je n'aimais pas que l'on joue sur ma corde sensible. Faire référence à Kensei pour m'influencer était trop facile.

Reiji se redressa et plaqua ses deux mains sur le bureau du secrétariat en me scrutant. J'observai les incroyables tatouages dont même un laser ne serait pas venu à bout. Ses maigres joues n'en portaient pas mais elles étaient déjà bien assez marquées par des cicatrices en forme de coupures.

Il reprit sur un ton doucereux qui sentait la manipulation :

« Je ne te demande pas d'accomplir de mission suicide. Juste un petit service... Il émit encore une quinte toux avant d'ajouter : Dont je te serai personnellement redevable.

— Dis-voir, rétorquai-je, tu ne me ferais pas croire que tu me sollicites seulement parce que je suis censée être ton amie ?

— Nous ne sommes pas amis mais du même camp. Ça devrait être suffisant.

— Je ne suis pas un pigeon voyageur et je ne tiens pas à ce que tu me sois redevable en quoique ce soit.

J'avais encore en tête le fait qu'il m'ait traqué avec un traceur GPS quelques semaines plus tôt. Il me lança un regard de travers et afficha un drôle de rictus :

— T'en es sûre ? ».

Après une pause, mes neurones se reconnectèrent.

Reiji, informatique, sait tout sur tout, prévoit, planifie. Base de renseignements. Il m'offre cela. Il m'offre de me procurer des informations sur simple demande. Après tout, qu'est-ce que je connais des nintaïens ? Je n'ai finalement eu qu'un aperçu de leurs interactions. Je veuxcomprendre comment la hiérarchie de Nintaï fonctionne. Ma curiosité et sûrementmal placée mais puisque j'ai commencé à fouiner, autant continuer... D'autant que les troisièmes années se mettent en danger.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant