43. Pris comme des rats

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Encerclés et contraints de les suivre, nous longeâmes plusieurs quartiers sans échanger un mot. C'était la zone de règne des mauvaises herbes, où il y avait plus de hangars qu'ailleurs et de petits commerces aux façades défraîchies. Le sol était par endroits jonché de vieux papiers éparpillés et de fientes. Minoru pliait et dépliait ses phalanges avec dextérité, comme pour les échauffer. Il était nerveux ; cela se voyait à ses yeux qui bougeaient de droite à gauche.

Nous nous arrêtâmes face à une structure à mi-chemin entre la remise et le hangar mais suffisamment à l'abri des regards pour passer inaperçue. Au-delà des câbles électriques accrochés dans le ciel, la nuit tombait et la température de l'air chutait.

Le meneur des punks aboya à l'intention de Nino.

« Où est la planque de Fumito ?

Nino lui répliqua sèchement :

— La planque de qui ? ».

Je me posai une autre question : comment se pouvait-il que le punk, qui n'avait rien d'un étudiant ou d'un apprenti, connaisse Fumito ? Était-il l'un de ses anciens clients ?

La ruelle étroite puait atrocement : une odeur de remugle, de renfermé, une pestilence âcre et lourde, aux relents fétides de déchets pourris et d'urine. Il y avait là des cageots détériorés, des bouts de ferraille, des pneus, des bâches trouées, des journaux, des plaques de métal rouillées, des armatures en fer cassées, des sacs plastiques...

Le punk donna un coup de pied dans un carton qui atterrit dans un tas d'ordures. De gros rats surpris couinèrent et s'enfuirent à toutes pattes. Je plaçai la manche de ma veste contre le nez. Nino interrogea Minoru du regard. Celui-ci, d'un air très agité, l'informa à mi-voix.

« Avant de se faire arrêter, Fumito aurait planqué de la drogue quelque part. Un gros paquet. Pas que du cannabis. J'crois qu'il y a de la coke. Mais personne ne sait où. Si on connait l'endroit, on peut en tirer un paquet de thunes !

D'où Minoru tenait-il cette information ? Il se dandinait d'un pied sur l'autre, comme si le fait d'être immobilisé lui provoquait des fourmis dans les jambes. Etait-ce chose courante pour les caïds, de se voir lancer pareil renseignement à la figure ? J'avais envie de vomir.

— Takeo est au courant ? ».

Minoru haussa les épaules. A quelques pas, le punk l'imita pour se moquer. Puis il porta deux doigts à sa bouche et siffla.

Il y eut un bruit strident. La cage d'escalier permettant d'accéder à l'entrepôt devint bruyante. Mon cœur s'accéléra, mes jambes me donnèrent l'impression d'être des poteaux coincés sur l'asphalte. Une partie du groupe des punks boucha l'entrée de la ruelle. Un nouveau frisson glacial parcourut mon corps : ils venaient de créer un cul-de-sac. Notre groupe entier se figea.

Nous nous étions fait avoir comme des bleus. Le volume sonore des braillements s'amplifia et une vingtaine d'individus sortirent par la porte béante de l'entrepôt dans un fracas sec.

Les punks étaient en colère. Comme des frelons qu'on aurait dérangés dans leur nid.

L'un des punks renversa du pied le sac de cours que l'un des troisièmes années avait laissé à l'entrée de la ruelle. Il finit dans le caniveau. Le propriétaire du sac poussa un glapissement. Minoru et Nino se lancèrent des regards de connivence.

Une silhouette vêtue de cuir et reconnaissable entre mille se fraya une allée d'honneur parmi les hommes : un visage triangulaire, des yeux écartés, dépourvus de sourcils, encadrés d'une petite crête faisant penser à un vélociraptor.

Juro étira ses épaules.

Kensuke apparut derrière lui, une expression de frayeur peinte sur la figure. Ce n'était pourtant pas lui qui était en mauvaise posture. Lorsqu'il me vit, le première année à la tête de criquet, maigre et sec, changea d'expression. Il me considéra par en-dessous, l'air revanchard et supérieur.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant