58. Échecs et matchs

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[Nino haussa les sourcils et plongea la main dans son paquet de chips.]

« Tu vois, Clé-à-molette, reprit-il. Cette fois, il en a mis à lui seul quatre au tapis. Et ce n'est vraiment pas ce qu'il a fait de mieux dans une bagarre ».

Brusquement dans les gradins, de nombreuses personnes se levèrent et applaudirent pour scander le nom de l'équipe qui venait de marquer des points. Nino me regarda du coin de l'œil mordre l'intérieur de mes joues et poursuivit :

— Kensei a du cran. Il a beau être têtu, il supporte les revers de situation, la souffrance et l'épuisement.

— C'est un opiniâtre déterminé oui !

— Il en veut ! Il est endurant et n'accepte pas facilement la défaite. Pourquoi tu crois qu'il est à la fois leader et président de club ? Ses gars le respectent. Ils sont derrière lui.

Je me redressai.

— Attends, Nino. Ce que je trouve surprenant, c'est que tu le glorifies, toi qui te moque de tout le monde.

— Ne te méprends pas répliqua-t-il. Simplement, Kensei est un adversaire de taille. C'est un dur, un type susceptible, pas facile à vivre mais tu dois reconnaître qu'il est balèze et qu'il a du charisme !

— Tu es amoureux de lui ou quoi ?

Nino me pinça le bras à m'en faire couiner. Une fois la pilule passée, il lança un regard vers Kensei :

— On lui fait confiance. Quand il se bat, tu ne vois rien arriver. Ses coups sont en dehors du champ de vision de son adversaire. Ça le rend fulgurant. C'est une des seules personnes que j'ai vu combattre jusqu'à terre. Il lui suffit juste de frapper toujours un peu plus pour gagner.

— Il n'y a pas de quoi s'en vanter. Il n'est rien ! Rien du tout. Dans la vraie vie, quand il aura terminé son cursus, il y aura forcément une chance pour qu'il rencontre quelqu'un de peut-être dix fois plus fort que lui !

D'un air exaspéré, Nino leva les yeux au ciel.

— On n'a pas tant besoin de gens plus forts mais de plus faibles que soi : il est plus difficile de manipuler quelqu'un qui a le dessus...

— Tu es terrible !

— Non, réaliste. Arrête de faire ta mijaurée révoltée, grimaça-t-il. On pense tous comme ça mais les gens sont trop hypocrites pour l'admettre.

— Tu ne serais pas en train de me traiter d'hypocrite ?

— Absolument.

— Tout le monde est faible, un jour ou l'autre ! rétorquai-je en ignorant sa dernière pique.

— Tout le monde, sauf Chuck Norris ».

Nino croqua une chips,  prit son temps pour la mastiquer et de nouveau, se tourna vers moi.

« Écoute, Clé-à-molette, tu ne peux pas comparer un combat à Nintaï à une affaire de rue où tu peux utiliser des armes et ne sais jamais combien de personnes vont te tomber dessus. Dans ces cas-là, tu ne peux pas non plus dire à ton agresseur : Laisse-moi terminer ma clope ou Parle moins fort, j'ai la gueule de bois.

— Je ne vois pas la différence avec Nintaï.

— Nous, on la connaît.

Je soupirai.

— De toute façon, je sais que vous vous retrouvez le soir au centre-ville pour régler des comptes.

Il ne sourcilla pas. 

— Ouais, admit-il, contrarié.

— Je devine que c'est aussi pour ça que les étudiants de Nintaï sont redoutés. En dehors de l'établissement, les gens vous reconnaissent.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant