18. Les fléchettes

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Kensei, le regard noir, m'incendia : 

« Où t'étais ? 

— Du calme. J'ai été retardée.

A la contraction des muscles de sa mâchoire, je compris qu'il tentait de contenir sa colère. Sa joue tressautait en une multitude de tics.

Certes, j'étais en retard d'une demi-heure mais je l'avais prévenu par message... Jusqu'à ce que je m'aperçoive, cinq minutes avant d'arriver au bar, que le message était resté dans les brouillons.

— Ah oui ? Et par quoi ? gronda-t-il.

Il expédia d'une vive détente du bras une nouvelle fléchette. Elle atteignit la cible en plein mille.

— Une réinitialisation d'ordinateur. Je travaillais sur une dissertation et il a planté.

Finissant de déglutir, je songeai que j'aurais tout aussi bien pu m'adresser à un mur. Dans l'éclairage tamisé du bar, Kensei me foudroya une dernière fois du regard avant de me tourner le dos. Je plaçai mon sac sur un tabouret et saluai mollement Jotaro.

— Dix minutes de plus et il envoyait valser une table avant de partir à ta recherche, m'apprit-il en levant les yeux au plafond d'un air exaspéré.

— Eh bien moi, je l'ai attendu tout un après-midi ! Je reviens, j'ai besoin d'un verre ».

La faction s'était donné rendez-vous au Maruschka, dans le quartier de Shinsaibashi. C'était un pub aux forts accents russes situé au quatrième étage d'un bâtiment, dont l'aspect m'avait, depuis l'extérieur, fortement rebutée.

Le Maruschka était un établissement sans beaucoup de lumière, au sens propre comme figuré. Il mettait à disposition un billard, des jeux de fléchettes, des télévisions pour suivre les matchs de baseball et un étage supplémentaire avec des tables. Lorsque j'avais demandé mon chemin, cela avait été sur le bout des lèvres que l'on m'avait indiqué la direction. Pour un nippon, la localisation pouvait paraître malfamée : quelques sans-abris, des marchands ambulants, des vendeurs de contrefaçons, des hôtesses de bar, des yakuzas, des salarymen vomissant sur le trottoir et des collégiennes en minijupe. Rien de tragique.

« Alors Clé-à-molette, quoi de neuf ? » m'apostropha nonchalamment Ryôta en rapprochant son tabouret du mien, disposé juste en-dessous d'une ampoule pendant au plafond.

Ses traits réguliers exprimaient un réel intérêt. Il replaça derrière une oreille quelques mèches cuivrées et haussa un sourcil épilé.

— En venant, j'ai croisé des types déguisés en super-héros et bourrés comme des coings. C'était consternant : costumes kitchs et moulants, accessoires en caoutchouc et épées en carton. Ils faisaient peur à voir.

— Allez, vas-y ! m'encouragea-t-il en sen déboutonnant le haut de sa longue chemise canadienne.

Je remarquai que ses yeux étaient troubles et injectés de sang.

— Il y avait un Pegas de Tekkaman, loin de coller à l'image d'un robot surpuissant en armure indestructible. La sienne était plutôt un ventre à bière.

— Le reste ? interrogea Ryôta, l'« Idol », d'une voix vacillante.

— Il titubait au milieu d'Astro Boy, de cyborgs en costumes métalliques et de Super Sentai habillés en Power Rangers. Le meilleur pour la fin : derrière eux, j'ai vu un Ultraman, le plus loupé que j'aie jamais vu !

Ryôta but une grande rasade de bière.

— J'ai raté ça ! s'esclaffa-t-il en reposant son verre sur le comptoir. 

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant