29. Le voile de la rancœur

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[Narration : Lucie]

« Lucie, t'es sombre aujourd'hui. Mais... ! Arrête de serrer les dents ! Ça ne te ressemble pas. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Ou alors, c'est encore la course poursuite à moto ? ».

Eisei me prenait pour une abrutie, soit. Ce ne fut pas le cas de Kensei qui écouta sur le toit mon récit avec intérêt. Nous étions seuls, avec Minoru assis derrière nous sur une table en s'empiffrant de chips.

« Et Kô, tu y as pensé ? fit-il au bout d'un moment, l'air de réfléchir intensément.

— Qui ?

— Il n'y a qu'une crête violette dans cet établissement. 

— Ce n'est qu'un première année. Je ne crois pas qu'il ait quoi que ce soit à voir dans cette histoire. Je le regardai dans les yeux : Sérieusement, Kensei, peut-être que Eisei a raison et que je me monte la tête pour rien. C'est cet établissement qui me rend parano ! Je me fais des films depuis l'arrestation de Fumito.

— Y'a de quoi devenir dingue, t'inquiète pas, intervint Minoru en descendant de sa table. Regarde-nous, un peu ! ».

Il s'accroupit et me mit son paquet de chips presque vide entre les mains. Je m'étonnai qu'il ait suivit la conversation, tant il semblait préoccupé ces derniers temps. L'arrestation lui avait certainement fait peur, lui qui fumait un peu d'herbe...

« Tu sais Kensei, poursuivit Minoru en tournant le menton vers lui, on devrait en toucher un mot à Takeo.

— Tu dis ça parce que t'es son toutou, lâcha Kensei en se grattant le front distraitement. Moi je ne lui en parlerai pas, il a déjà suffisamment de problèmes sur les bras.

Il recula dans sa chaise et fit tomber des cendres dans une canette posée sur une table taguée.

— Mais, t'as écouté ce qu'elle a dit ? se fâcha Minoru en se redressant. Ça n'arrive pas tous les jours que les aînés se coincent comme ça dans les couloirs. Et Satomu, je m'en méfie aussi un peu... S'il a laissé les rênes à Eisei cette année, c'est peut-être parce qu'il manigance quelque chose de son côté ! » déduisit-il d'un air grave.

Je me sentais gauche, assise entre ces deux caïds qui discutaient avec des airs de stratèges accomplis. Après un silence de réflexion, Kensei se retourna vers Minoru.

— Y'a trop de gens impliqués là-dedans. Ça va foutre le boxon si on commence à soupçonner tout le monde d'avoir dénoncé Fumito !

— Et le reste, hein ? La moitié de l'établissement est en manque ! On doit se fournir à l'extérieur et ça coûte plus cher !

Kensei ne répondit rien. Il se contenta de rouler sa cigarette entre ses doigts. Excédé, Minoru se plaça devant lui et le toisa du haut de toute sa taille.

— T'es un lâche, Kensei !

— Quoi ? gronda-t-il ce dernier en lançant un regard noir à l'opossum. Mets-toi un peu à ma place ! C'est de trafic de drogue dont on parle, pas d'une baston à deux balles. Crois-moi, laisse les intéressés de ce conflit régler leurs affaires entre eux ! On a assez de problèmes à gérer comme ça avec le lycée Kawasaki ! Et on devrait plutôt se préoccuper de Yuito, il est à couteaux-tiré avec son demi-frère... Je te le signale, au cas-où tu ne l'aurais pas remarqué !

— Ben justement, ça nous concerne maintenant ! Imagine qu'Okito fasse vraiment partie des complications !

Kensei secoua la tête.

— Fais ce que tu veux ! T'as toujours été dans le sillage de Takeo mais t'as même pas idée de jusqu'où tout ça peut aller. Il inhala une bouffée de tabac et expira abondamment sa fumée sur le côté : T'es naïf, Minoru. Tant que ça ne nous concernera pas directement, je ne prendrai pas le risque d'impliquer inutilement mes gars.

Minoru frappa la table de ses poings et planta son visage à dix centimètres de celui de Kensei. L'œil mauvais, il grinça des dents :

— Tu te la pètes parce que t'es à la fois leader de ta classe et président de club !

Lentement, Kensei se leva de sa chaise pour faire face à Minoru.

— Quand tu veux, t'arrêtes d'être crétin ! Ça suffit, tes sketchs de gamin ! tempêta-t-il. T'as pensé un peu à Lucie ? Je relevai le menton. Maintenant qu'elle a répété ce qu'elle avait vu au Grand Manitou, l'information va fuiter de partout ! Chacun sait qu'elle est avec nous, qu'elle n'a pas de proches ici et qu'elle habite seule !

Sa réplique cloua le bec du grand échalas et coupa accessoirement ma respiration. Kensei insinuait-il que j'étais en danger ? Il s'agissait certes d'un établissement rempli à ras-bord de délinquants mais ils n'avaient aucune raison de venir me cueillir. D'ailleurs au Japon... Non, pas au Japon quand même ! 

« Clé-à-molette, fit Minoru en me prenant le bras, t'as l'air en état de choc. T'alarme pas, moi je suis sûr qu'il ne t'arrivera rien. T'es une étrangère. Je veux pas te vexer mais les gens s'en fichent de toi... Maintenant, dit-il en fixant une dernière fois Kensei, il faut alerter Takeo !

Brusquement, Kensei agrippa le col de Minoru.

— Je maudis Takeo ! » siffla-t-il, fiévreux.

Minoru se pétrifia.

Je tressaillis. Kensei et Takeo étaient censés être amis. Mais Kensei avait prononcé cette phrase terrible comme si elle ne lui coûtait pas.

Or, on ne maudit pas quelqu'un : maudire est un acte très grave. On laisse une partie de soi en Enfer. Qu'était-il arrivé à Kensei pour qu'il ressente autant d'animosité envers Takeo ?

Je me mordis l'intérieur des joues. Une fois de plus, cela n'était pas mon affaire.

***

[Narration : Kensei]

Le visage de Takeo devint cramoisi de colère. Mais non pour la raison que j'avais imaginée.

« Il faut à tout prix que Clé-à-molette arrête de fouiner partout !

Minoru voulut intervenir mais je le coupai dans son élan. Il en avait assez fait devant Lucie.

— Elle occupe un emploi qui la conduit à être témoin de...

— Tu te trompes, Kensei ! m'interrompit Takeo. N'oublie pas que t'es avec elle : tu crois que tu ne fais qu'incliner la tête mais en réalité t'as le front contre terre !

Avec difficultés, je parvins à maintenir mes poings le long du corps. Sa salle de classe était déserte, sombre et sale. Sous sa veste, Takeo déboutonna un peu sa chemise hawaïenne et reprit, la figure grimaçante :

— Elle devient dangereuse.

Malgré moi, je ricanai.

— Tu t'inquiètes que je n'agisse plus dans tes intérêts.

— Tu agis surtout contre les tiens ! On est tous dans le même panier ! Je n'aime pas le fait qu'elle ait repéré Satomu avec Ichiro, qu'elle aille en informer Eisei comme s'il était immaculé et qu'elle soit devenue importante au point que Kô l'espionne.

— Il l'espionne ? m'étranglai-je.

— Bien sûr !

— Il l'a juste surprise !

— Arrête... !

— Nous avons déjà eu une discussion de ce genre, rappelai-je

Il saisit son Zippo dans sa poche et alluma une clope.

— Fais attention à elle. Ça ne me plairait pas non plus que des types en noir viennent la chercher... !  On ne pourra pas la protéger contre eux.

J'eus soudain très froid.

Minoru nous dévisagea :

— Encore cette histoire...  ».



Merci de votre lecture ! ~*

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Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant