26. Panne de courant

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Après trois jours de grosse chaleur, de moustiques et de compresses rafraîchissantes, l'orage attendu éclata. Debout devant la fenêtre de ma chambre, je scrutai le ciel gris au-dessus des maisonnettes de la rue d'en face.

Les nuages s'accumulèrent, les cieux s'assombrirent et des bourrasques de vent envoyèrent valser des feuilles décrochées des arbres, qui se plièrent à en rompre leurs branches. Le tonnerre gronda, sourd, titanesque, invincible.

Des éclairs zébrèrent le ciel et le déchirèrent. Une forte déflagration retentit, suivie de craquements. Quelques minutes plus tard, je suivais toujours le déluge des yeux. Des hallebardes s'écrasaient au sol, leur eau se déversant dans la rue et charriant tout sur leur passage. La pluie répandue formait presque une avalaison.

C'était peut-être un mauvais signe.

Depuis quelques jours, Minoru descendait souvent du toit pour se rendre dans la salle d'informatique. Il allait y trouver Reiji, à moins que ce dernier se soit donné la peine de sortir de son repaire pour le prendre à part sur la terrasse. En apparence, personne ne paraissait s'inquiéter de leur manège mais les troisièmes années se posaient des questions.

Je ne savais pas si Reiji et Minoru étaient proches à l'origine mais tous deux traitaient d'affaires qui mettaient ce dernier dans un état épouvantable. La mine de Minoru se renfrognait de jour en jour et il fumait plus que d'habitude. Bavard tel une pie l'instant d'avant, il redevenait taciturne et laconique sitôt que « l'affaire Fumito » était remise sur le tapis. Il ne disait rien à ce sujet mais sa figure s'assombrissait.

Pour moi, les problèmes ne devaient pas être cachés mais au contraire mis en lumière pour dévoiler leurs failles. Malheureusement, mes discussions avec Minoru s'essoufflaient aussi vite qu'elles commençaient. Le voir plongé dans cette étrange neurasthénie qui ne lui ressemblait pas me désolait. Mais, lorsque j'avais fait part à Takeo de mes appréhensions, il m'avait envoyée promener.

La tempête faisait rage. Le ciel était noir comme une nuit d'apocalypse. La pluie continuait à tomber de façon précipitée sur le toit en zinc qui couvrait la fenêtre. J'entendais le bruit constant de l'écoulement de l'eau dans la gouttière débordante.

L'Opossum transgénique paraissait constamment sur ses gardes et les autres gaillards ne réagissaient pas à son état. On me répétait de le laisser tranquille. Un soir en revenant du club de calligraphie, je l'avais aperçu dans le métro. Autour de lui, les gens se déplaçaient, toussaient, lisaient leur journal, jouaient sur une console, s'interpellaient doucement et lui ne bougeait pas. Le corps immobile, ses yeux étaient rivés sur son portable.

Soudain, il fit noir dans la pièce. Ce devait être une coupure de courant. C'était à peine si je voyais mes pieds. Or, je n'avais pas de bougies, étais nulle en bricolage, en mécanique, en électricité. D'abord, ce n'était pas les mêmes prises qu'en France et puis je ne savais pas détecter la source d'une panne, ne... Je saisis mon portable et composai le numéro de mon sauveur.

J'étais ennuyée à l'idée de le faire venir mais n'avais pas d'autre solution dans l'immédiat. Je me déculpabilisai : encore fallait-il qu'il accepte de sortir de son garage.

Kensei sonna à ma porte trois-quarts d'heure plus tard, trempé jusqu'aux os. Il retira respectueusement ses rangers avant-même d'avoir franchi le seuil de l'appartement.

« Circuit électrique de mes deux ! bougonna-t-il sans autre préalable. De l'extérieur, je n'ai vu que ton appartement dans le noir.

Il fallut se contenter d'incliner la tête.

— Je ne m'en sors pas, avouai-je lamentablement.

— Tu sais comment vérifier des extincteurs mais pas les fusibles ? Qu'est-ce qu'on t'a appris à l'école ?

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant