Au moment de la pause, je me levai de la chaise pliante de l'amphithéâtre de l'université qui me martyrisait la colonne et filai dans le couloir. J'avisai avec envie et curiosité la mystérieuse étiquette de thé glacé à l'abricot et glissai prestement des yens dans le distributeur.
La boisson était en rupture de stock. Piteuse, je récupérai mes pièces et retournai dans l'amphithéâtre avant la reprise du cours sur les particularités du délai de priorité en matière de dépôt de brevets.
Soudain, surgit l'étudiant de droit à qui j'avais été contrainte de donner mon numéro quelques semaines plus tôt.
Je me décalai contre le mur pour lui laisser le passage. En toute saison, ce Narcisse se pavanait pour attirer l'attention. Il vivait dans un huit mètres carrés, avait deux crédits sur le dos et malgré cela, il se pavanait en Vuitton. Les dettes devaient avoir été contractées auprès de sociétés d'emprunts n'entretenant pas de relations avec les banques et qui lui promettaient de lui coller des yakuzas aux fesses s'il ne pouvait les rembourser. Être endetté au Japon n'était vraiment pas recommandé. Mais dans sa logique, il était plus facile de mettre une fille dans son lit de love hotel vêtu de vêtements de marques plutôt qu'en jean bon marché.
Avant d'avoir dit un mot, il me tendit une canette : un thé glacé à l'abricot ! Vu ce que devait être mon expression, celle de l'étudiant me laissa comprendre que c'était son jour de gloire.
Il était plus malin que je ne l'avais imaginé.
« Toujours aussi grincheuse ? demanda-t-il.
Je marmonnai quelque chose d'incompréhensible et fis mine de vouloir rentrer dans l'amphithéâtre pour regagner ma place.
— Allez, prends ! Je l'ai acheté tout à l'heure mais ça ne me dit rien. Si tu ne le bois pas, il va se réchauffer et ne sera plus bon.
Je l'observai pour déceler le piège mais ses yeux étaient tout à fait amicaux. Je le remerciai et sortis de la monnaie.
— Je te l'offre.
Je répondis que je ne pouvais pas accepter.
— Hé ! Considère que tu m'en débarrasses. Je n'aime pas gaspiller.
Ma gorge était desséchée. Vaincue par la nécessité, je le fixai encore une fois et inclinai la tête.
— Merci.
— Pas de quoi... Dis, ça te dérangerait que je m'assieds à côté de toi ? Mon voisin est soûlant ».
Il me sourit de toutes ses dents et l'envie me prit de les lui mettre en morceaux.
***
Dans l'après-midi, ce fut une véritable embuscade que me tendit Kensei. Il avait compris que j'avais pris soin de l'éviter depuis qu'il m'avait posé un lapin.
A l'heure de quitter le secrétariat de Nintaï, je le trouvai derrière la porte, planté comme un i, les muscles en alerte, le regard à l'affût. Avant d'avoir eu le temps de la refermer, il la bloqua de son pied tandis que je continuai à pousser la porte en sens inverse.
Soudain, Kensei donna un grand coup dedans, m'obligeant à lâcher la poignée. Je me retrouvai acculée contre le mur du secrétariat, entre la porte et la maudite plante verte. Kensei avança, le dos droit et les épaules carrées. Il balaya la pièce d'un œil fier, l'air tout à fait à l'aise, comme si on l'avait invité à entrer.
Je tentai de m'échapper mais encore une fois, il anticipa ma réaction. Il referma la porte, se jeta sur moi à la manière d'un rugbyman et me plaqua au sol. Je me débattis et il finit par m'immobiliser sur le dos. Le sang me monta à la tête.
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Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit bras
General FictionDans ce deuxième tome, les liens entre les nintaïens et Lucie se fortifient, ce qui suscite l'inquiétude de certains. Alors que sa vision du Japon change progressivement, les rivalités au sein de l'établissement Nintaï s'intensifient. Lucie est écar...