31. Représentations du Japonais

808 80 41
                                    

[Kensei hocha la tête.

— J'avais remarqué. Dis-moi. Je veux savoir ce que tu penses.

J'avalai ma salive et déglutis silencieusement.]

— Eh bien, honnêtement, je les trouve... Froids.

Il me fit signe de continuer, retenant toujours ma nuque. Une crainte me traversa l'esprit, pour s'évanouir aussitôt : non, il ne fracasserait pas mon crâne contre la paroi vitrée des requins. J'essayai de piocher les mots qui me semblèrent justes. Ce ne fut pas facile.

— Les hommes sont distants, peut-être parce qu'ils n'extériorisent pas leurs sentiments. Par exemple, tu parais parfois attendre de moi que je saisisse les choses sans me dire quel est le problème. Mais je ne suis pas devin... Si je fais un truc qui ne te plaît pas, mieux vaut que tu me le dises directement plutôt que tu m'envoies des signaux cryptés que je ne décode pas.

Kensei pencha la nuque de côté, les yeux fermés.

— Mais... Le reste du temps, tu es plutôt expressif.

— C'est quoi, le reste du temps ? me coupa-t-il en gardant les paupières closes.

— Quatre-vingt pour cent du temps passé ensemble. Pourtant, tu es différent des hommes Japonais en général. En tout cas, c'est mon impression.

Il opina. Je repris la parole :

— Ça me facilite beaucoup les choses, tu sais. Ce que tu viens de faire, ton baiser, démontre bien que tu es une exception à la norme.

Il n'y avait pas que cela. Kensei, étonnamment, partageait parfois ses émotions, exprimait son contentement ou sa colère, me parlait de ses petites joies et de ses déceptions. La fréquence de dialogue était moindre que celle d'un couple de Français mais suffisamment régulière à mes yeux. De plus, il arrivait à Kensei de se montrer affectueux. Il était un gars aimant avec un penchant sacrément belliqueux...

Kensei plissa les yeux de satisfaction comme un jeune matou. Il m'incita à développer d'un geste rapide. Je ne me fis pas prier.

« Apparemment, si on exclut ton cas, les gens qui s'aiment ne se le disent pas et en public, ils se touchent à peine. Les couples se tiennent par la main et c'est tout. Même si j'imagine que l'alcool décoince, c'est très frustrant pour une Occidentale qui n'est pas d'une culture qui prône l'effacement individuel.

— C'est vrai que vous êtes individualistes...

— Oui mais en même temps, tu es du genre à me poser des questions directes, sans préalable. Et il n'y a pas que toi. Quand j'ai parlé pour la première fois à Ryôta sur le terrain de baseball de Nintaï, il m'a questionnée sur mon âge ! C'est extrêmement impoli en France...

Il acquiesça.

— Moi, je me suis demandé si t'étais mariée. J'ai regardé ta main plusieurs fois pour m'en assurer.

Je crus que j'allai m'étouffer.

— Quoi ? m'exclamai-je à voix basse.

Kensei haussa les épaules.

— Ben oui. T'étais pour moi une travailleuse qui venait de l'étranger, pas une étudiante. Si nous avions été en bons termes dès le début et dans un contexte différent de celui de Nintaï, je t'aurai sûrement posé la question. Tu vois, ça ne m'aurait pas paru être une intrusion dans ta vie privée mais plus comme la possibilité d'en savoir sur toi ».

Je ne saisissais plus rien. Après un moment d'hésitation, je hochai la tête et repris :

« D'un autre côté, si la plupart des hommes Japonais sont responsables, ils ne prennent pas de décision. Comme si on devait tout décider pour eux.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant