49. Des résolutions

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[Narration : Lucie]

Leandro darda sur moi ses yeux aux cils noirs et épais, recourbés au bout. Des yeux à faire des baisers-papillon. Il avait précieusement rangé la carte de visite de l'infirmière stagiaire dans la poche de sa chemise blanche Ralph Lauren. A son entrée, il avait rejeté ses cheveux en arrière et rentré le ventre pour le rendre encore plus plat. La stagiaire n'avait pu le rater : même pour se rendre en visite à l'hôpital, il portait toujours ses vêtements cintrés pour mettre en valeur les lignes de sa silhouette.

Je devinais que ses jambes le démangeaient d'aller la retrouver à sa pause. 

« Tu crois que tu pourrais essayer de raisonner Sven à propos de Kensei ? Ce n'est pas de sa faute. La cible de Juro était Takeo. Je me suis retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

— Ça ne changerait rien. Sven n'aime pas beaucoup ton blond décoloré...

Je soupirai et enroulai une mèche de cheveux autour d'un doigt.

— Je sais. Mais toi, qu'est-ce que tu penses de lui ?

— C'est bien la première que tu me demandes mon avis là-dessus.

— En fait, vous ne l'avez pas réellement rencontré. Je ménageai une pause, les yeux dans le vide : Je suis la première à faire cette erreur mais on ne juge pas quelqu'un sur son apparence.

— Pourtant, l'image que tu renvoies aux autres est révélatrice de ta personnalité, rétorqua Leandro sans changer d'expression.

C'était un bon argument. Les caïds ne faisaient rien pour paraître moins marginaux. Je voyais mal comment répliquer à pareille vérité.

— Sven est intelligent et consciencieux. Mais il a une conception manichéenne de la situation. Peut-être qu'il fera un effort de compréhension si c'est toi qui tente de lui faire entendre qu'il voit la chose sous le mauvais angle.

Leandro ferma les yeux et hocha lentement la tête. La requête ne lui plaisait pas. Il approuvait Sven, même si sa vision des évènements était plus contrastée.

— Je suis d'accord avec Sven sur certains points, dit-il calmement. Tu es trop investie dans un intérêt qui n'est pas le tien. La preuve, regarde où ça t'amène... Il est temps pour toi de faire face à tes choix.

Je laissai mes cheveux retomber sur mon épaule, posai les mains sur mon ventre :

— Je l'ai déjà fait, un millier fois. Il y a Kensei... Et j'ai injecté énormément d'efforts dans mon travail. Je ne veux pas m'arrêter.

Mon ami sourcilla. J'interceptai son regard :

Je laissais planer un silence, avant de poursuivre :

— Mes parents, n'ont pas eu à payer beaucoup de frais d'hôpitaux. Quant à l'Agence, je leur ai moi-même téléphoné. Ils ont promis de rester silencieux sur mon état, si de mon côté, je ne disais rien de ce qu'il s'était produit. Dans l'affaire, ils ont l'impression d'être gagnants.

Leandro croisa les jambes.

— Belle conclusion... Et tes parents ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ?

Je tournai la tête vers le pied de lit.

— Ils ont exigé que je retourne en France. Ils croient que j'ai eu un accident de voiture en traversant hors d'un passage piéton.

— Ce sont les types de Nintaï qui ont inventé ce mensonge ?

— Non, c'est moi. C'était pour me protéger.

Leandro écarta grand ses bras d'incompréhension, paumes levées vers le ciel. Il renversa la nuque en arrière et gronda :

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant