66. Le sixième sens

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[Narration : Minoru]

Je m'emparai de la carte, la parcouru et la claquai brusquement sur la table. Mon portable venait de vibrer. Je reculai ma chaise pour lire le message, pendant que Lucie commandait un chocolat chaud et une bière.

Nous parlâmes un peu, elle me fit remarquer que je restai scotché à mon écran et me fit la morale en disant que ce n'était pas poli d'être sur son portable alors que nous prenions un verre ensemble. Puis son expression changea.

« Minoru, quelqu'un t'embête ? Naomi ? Juro ?

— Pas moyen. Si j'avais eu leur numéro, je les aurais bloqués et effacés dans l'instant. Ou j'aurais demandé à Reiji de les inonder de spams.

Elle tripota l'anse de sa tasse en même temps que ses deux grands yeux bleus me scannèrent. La réponse lui parut insuffisante. J'étirai mes jambes sous la table et vérifiai que mon portefeuille était toujours accroché à la chaîne de mon futal.

— C'est Sumiho, avouai-je. Ryôta lui a filé mon numéro en début d'année. Depuis, elle m'envoie des messages. Elle vient de me proposer de l'accompagner en ville demain et l'aider à choisir un jeu vidéo.

 Elle vient de me proposer de l'accompagner en ville demain et l'aider à choisir un jeu vidéo

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Lucie écarquilla les yeux.

— Elle joue aux jeux vidéo ?

— Tu plaisantes ? En fait, c'est bientôt l'anniversaire de son petit-frère.

Elle se mit une tape sur le front comme si elle se trouvait stupide et racla avec sa cuiller la chantilly au-dessus de son chocolat chaud.

Lucie avait raison. Même pour donner à manger à un chiot en pixels ou s'inventer un petit-ami virtuel, Sumiho ne jouait pas sur les consoles. Elle préférait acheter la nouvelle trente-sixième nuance de vernis à ongles rose.

— Tu y vas ? Elle est... Elle est amoureuse de toi, tu sais.

C'était exactement ce que je ne voulais pas entendre. Je secouai vigoureusement la tête et abaissai ma main à plusieurs reprises pour chasser cette idée.

— Je n'irai pas. Quand Sumiho me mate, c'est comme si elle essayait de m'aspirer et de me mettre une chaîne au cou.

— Un regard mi-innocent, mi-aguicheur, c'est ça ?

J'acquiesçai :

— Elle a un regard tordu. Je déteste ça. Ça m'énerve ! Et pourquoi elle met autant de rouge à lèvres ?

— J'en mets aussi : c'est pour faire des bisous colorés.

— Cette fille est trop maquillée ! On aurait pu la trouver attirante... Mais plus depuis la fin du Crétacé ! ».

Pendant que Clé-à-molette pouffait, je me balançai sur ma chaise, mon verre remplit de Kirin à la main.

— Sumiho est fausse, confessai-je. Toi par exemple, tu restes vraie, peu importe que tu sois en ma présence, celle de Takeo, de Shizue ou de Kensei. Sumiho, elle change de visage devant chaque interlocuteur. Elle agit en fonction de lui. Au final, tu ne sais pas à qui tu as affaire.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant