[Narration : Lucie]
La professeure de droit international dicta le nom d'articles à lire sur les accords de la firme Toyota avec le constructeur Ford, remercia les étudiants de leur attention quasi-religieuse et partit en claquant des talons. Tac, tac, tac, tac, tac.
Je m'étirai avec flegme et rangeai mon ordinateur dans sa housse protectrice. Le Yorkshire me tapota l'épaule.
« Hé ! On va boire un verre ?
— Non merci.
— T'es quand même dure de ne pas répondre à mes messages !
— D'un autre côté, tu ne t'es pas demandé pour quelle raison.
— Oh, la fille ! Je rêve ! ».
Je manquai de lui rétorquer que je n'étais liée par aucune obligation à son égard.
Depuis que le Yorkshire s'était assis à côté de moi quelques jours auparavant, je ne pouvais plus m'en défaire. Jamais je n'aurais dû accepter son satané thé glacé à l'abricot ! Il était bavard, collant et n'avait d'autre sujet de conversation que les vêtements, les cuites, les boîtes de nuit, ses faux-amis et mes yeux.
Je plantai l'étudiant et filai de l'amphithéâtre à toutes jambes dans l'espoir de le semer parmi la foule étudiante. Il me rattrapa à la sortie de l'université en me hélant comme un âne et agrippa mon épaule pour reprendre son souffle.
« Lâche-moi !
Quel malotru ! Lui qui se prenait pour un homme irrésistible alors que sa coupe d'host le faisait ressembler à un Yorkshire Terrier !
— Bon allez. Si tu veux, je t'invite.
— J'ai dit non ! » répétai-je une octave trop haute.
De prime abord, ni lui ni moi ne remarquâmes la Suzuki stationnée sur le trottoir.
Je me dégageai d'un coup sec de la poigne du Yorkshire.
Kensei s'avança, une expression carnassière étirée sur le visage.
Les rangers aux pieds, la mâchoire crispée et les yeux frigorifiant, il était impressionnant. Une brève séquence défila dans mes souvenirs : celle de notre rencontre dans le secrétariat de Nintaï. J'eus un léger frémissement, que je devinais d'admiration. Pourtant, je savais que Kensei était sur le point de faire un carnage, devant un public, face à mes voisins d'amphithéâtre.
Non seulement Kensei n'avait pas peur mais il exultait. Il était rempli d'une joie démente, celle de l'homme qui sait exactement comment il va casser la figure de l'infortuné qui drague sa copine.
Le Yorkshire ne vit rien venir. Sans autre forme de procès, Kensei lui balança un monumental crochet au visage. Il dut à peine avoir le temps de voir des étoiles, Kensei enchaînait déjà par un sadique coup de pied dans ses côtes. L'étudiant s'écroula dans un affreux borborygme à-même l'asphalte. Kensei eut l'air déçu de ne pas avoir à se battre.
Inutile de regarder plus en arrière, tout le monde venait d'être témoin de la scène. J'entendis les murmures derrière nous résonner comme des cris lorsque Kensei me tira par le poignet. Hagarde, je m'autorisai à tourner la tête. Les expression horrifiées de mes voisins d'amphithéâtre reflétèrent ma propre stupéfaction.
Une grosse boule d'angoisse se forma au creux de mon ventre. Je craignais les réactions de Kensei et ses attitudes, son imprévisibilité. Je ne supportais pas les gens violents. Pourquoi avait-il fallu qu'il m'attire autant ?
Kensei me fit asseoir derrière lui et m'enfonça d'autorité le casque Special Guest sur le crâne. Il démarra en trombe, sans avoir lâché un seul mot, tandis que je me cramponnai à son blouson, encore médusée par ce qu'il venait de se produire.
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Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit bras
Ficção GeralDans ce deuxième tome, les liens entre les nintaïens et Lucie se fortifient, ce qui suscite l'inquiétude de certains. Alors que sa vision du Japon change progressivement, les rivalités au sein de l'établissement Nintaï s'intensifient. Lucie est écar...