[« Tu ne devrais pas le savoir, mais il y a quelques jours à peine, Takeo a fait chanter Kensei.
J'accusai le coup, fronçai les sourcils.
— Que lui a-t-il demandé ?
— De te jeter », répondit Reiji.
La déclaration m'explosa en pleine figure.]
— De me jeter ? répétai-je, incrédule.
Ébranlée, je serrai les poings.
— Mais pourquoi ? m'écriai-je.
Takeo. Il allait entendre parler de moi ! Cette crapule était un tyran : il profitait de tout et de chacun, sans rien donner en retour ! Napoléon voulait tout, tout de suite. Il avait une vision grandiose de sa propre importance et devait sûrement se dire qu'il était quelqu'un à part, mieux que les autres, une sorte de surhomme avec tous les droits.
— Ne te fâche pas comme ça, se moqua Reiji en tordant son visage squelettique dans tous les sens. Je soupçonne en fait Takeo d'avoir voulu vous protéger tous les deux, à sa manière. Toi, c'est évident, c'est pour que tu ne sois pas prise à partie aux complications qui se préparent. Ne prends pas cet air surpris ! Y'a des gens qui cherchent les ennuis à Nintaï. Pour quelle raison ? Dégommer Takeo, certainement et du coup atteindre Eisei... Pour prendre le contrôle de l'établissement.
— Quel est l'intérêt de prendre le contrôle de Nintaï ?
— D'abord la réputation. Ensuite, avoir l'exclusivité de la vente de la drogue auprès de quatre cent types et de la zone des docks. Pigé ?
Je déglutis.
Reiji fit un quart de tour sur son fauteuil à roulettes sur lequel il avait inscrit son nom. Il me fit face.
« Pour Kensei, c'est plus compliqué. Depuis que vous êtes ensemble, il prend moins part aux affaires de l'établissement. C'est comme s'il se mettait hors-jeu. Mais même s'il refuse de l'admettre, il est à la fois sous les ordres de Takeo et leader d'une classe, en plus d'être président d'un club. Tout ça fait qu'il est actuellement un chef de file à Nintaï. Y'a un sacré nombre de gars qui le soutiennent et c'est beaucoup de responsabilités. Takeo s'inquiète à l'idée de perdre un atout aussi décisif : Kensei compte énormément dans ses forces et ses appuis pour les aider, lui et Eisei, à maintenir l'équilibre de Nintaï.
— Me quitter rendrait Kensei plus disponible auprès de Takeo, c'est ça ?
Reiji acquiesça d'un signe de tête.
— Que lui a répondu Kensei ?
— En gros, d'aller se faire voir.
Parfait. Kensei et moi 1 – Takeo 0.
— Takeo n'a pas intérêt à se mettre Kensei à dos... réalisai-je confusément.
A Nintaï, il était vrai qu'il ne fallait pas s'amuser à surestimer les caïds. La plupart s'adonnaient à d'autres activités que le simple racket. Bien que leur passion première pour la bagarre laisse par moments sous-entendre qu'il n'y avait pas grand-chose dans leur cervelle, les étudiants n'en demeuraient pas moins redoutables. Et aux dernières nouvelles, il n'y avait pas besoin de faire fonctionner à fond son cerveau pour balancer un coup de poing. Le mécanisme requérait tout au plus une bonne dose d'adrénaline et des os solides.
— Oui mais pas seulement. Si Kensei perd ses gars, ceux-là ne se rangeront pas forcément dans le camp de Takeo. Il est possible, voire probable qu'en se retrouvant sans leader direct, les suiveurs de Kensei se fassent convaincre, démolir, acheter – tout ce que tu voudras – par Juro, Hidetaka et Izuru.
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Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit bras
General FictionDans ce deuxième tome, les liens entre les nintaïens et Lucie se fortifient, ce qui suscite l'inquiétude de certains. Alors que sa vision du Japon change progressivement, les rivalités au sein de l'établissement Nintaï s'intensifient. Lucie est écar...