46. La fracture de trop

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Lorsque je me réveillai à nouveau, ils étaient encore là. Leurs vêtements avaient changé. J'avais mal partout.

« Comment tu te sens ? m'interrogea Kensei.

Cette fois, très vite la langue japonaise se transposa dans ma tête et je parvins à parler sans trop de difficulté.

— Raide, engourdie, rouillée.

— T'as dormi pendant six jours. On a prévenu tes parents.

— Quoi ?

Des réminiscences me revinrent peu à peu, comme une pelote de fil que l'on dénoue : fin des examens à Nintaï, Maruschka, Kensuke, hangar, Fumito, drogue, Juro, douleur, Minoru, Hidetaka, Nino. Ah. Mince.

— Parents ? Ne me dis pas qu'ils sont ici ! m'écriai-je en un filet de voix.

Kensei secoua négativement la tête. Son visage était touché par l'attente, l'incertitude, l'épuisement, l'abattement.

— Ils ont hésité à prendre l'avion. On leur a dit que tu n'allais pas tarder à te réveiller ».

Hésité. Oui, cela leur ressemblait. Nous parlions bien de mes parents. Je respirai plus profondément et examinais attentivement la pièce. Elle sentait le désinfectant et la Javel : Mika se serait plu dans cette chambre. Il y avait deux autres lits mais ils étaient vides.

Une infirmière entra, évalua la situation et demanda si j'avais besoin de quelque chose. Elle prit des notes, remit un tube en place et m'assura qu'elle reviendrait bientôt apporter un plateau repas et un pot de thé. Elle m'informa également que je pourrai prochainement téléphoner à mes parents. Ses yeux n'étaient que deux fentes, tels ceux d'un insecte exotique. Elle semblait très pressée, son bipper clignotait.

« Minoru, tu as été soigné ? interrogeai-je.

— J'étais dans la chambre d'à côté jusqu'à hier.

— Le médecin voulait le garder plus longtemps mais il était intenable et fuguait ici pour te surveiller, ajouta Kensei.

— Vous pouvez m'expliquer ce qu'il s'est passé ? Je ne me souviens que de notre passage à tabac. D'ailleurs, pourquoi... ?

Kensei remplit de nouveau le verre d'eau et me le tendit. Il se racla la gorge.

— C'est si confus que ça ?

J'acquiesçai lentement en me renfonçant dans l'oreiller. Minoru se tenait toujours à distance. Ils étaient tous les deux tendus.

L'Opossum était dans un état épouvantable. Un large bandage retenait son épaule et son bras. La mine sombre, il faisait peine à voir. Défiguré par les contusions et les boursouflures, des égratignures parcouraient son visage, ses lèvres étaient gonflées et il avait un œil rouge. Ses vaisseaux devaient avoir éclaté. Pour ne rien arranger, entre ses deux sourcils, un épais arc inversé apparaissait telle une ligne de points de suture. Toute la zone en partant de l'arcade sourcilière jusqu'à la naissance du nez était orange comme un agrume. En réalité, Minoru avait la tête aussi explosée que l'aurait été un fruit mûr lancé contre un arbre. Je songeai avec horreur qu'il eut été préférable qu'il porte un masque.

Kensei se pencha sur moi.

— Le jour de votre agression, Okito, le demi-frère de Yuito, a entendu dans un couloir une discussion entre Hidetaka et l'un de ses types. Il était question de rejoindre des « gars » et d'attendre les « raclures de troisième année » près d'un hangar.

— C'était vague comme information, remarquai-je.

— Très juste. C'est pourquoi Okito n'en a pas tenu compte sur le moment.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant