Nous quittâmes le Maruschka avant minuit afin d'attraper le dernier métro. Comme il nous restait un peu de temps, Takeo décréta que nous traverserions Dotonbori où l'éclairage des néons la nuit, m'affirma-t-il, était un beau spectacle. Il ne pouvait se douter que je l'avais déjà apprécié en compagnie de Kensei, par une pseudo-lune de Tsukimi.
Nous croisâmes la route d'un passant hagard, ensanglanté, suivi de manière étrange et à distance respectueuse par des policiers; ils ne cherchaient pas à intervenir brutalement. Tout à fait habituel, semblaient dire les expressions sur les visages des nintaïens.
En tout bon sportif alcoolique, Minoru improvisa une course jusqu'à l'enseigne géante du Glico Man. Mika parut fatigué de voir Minoru toujours courir partout.
« Ça ne sert à rien de cavaler, Minoru ! L'inventeur du jogging est mort à cinquante-deux ans ! lui lança-t-il.
— Eh ben toi, beugla l'intéressé au loin, tu mourras avant, écrasé sous ton gras ! ».
Dans la seconde, Mika s'élança à la poursuite de Minoru pour lui tordre le cou.
Le Glico Man, fameuse enseigne en néon placée sur un bâtiment bordant le canal, servait souvent de point de rendez-vous. Installée au milieu des années trente, le panneau de l'athlète géant sur piste bleue avait été plusieurs fois modifié pour célébrer des événements tels que la Coupe du monde ou soutenir l'équipe de baseball d'Osaka, les Hanshin Tigers. Il s'agissait, au même titre que le Billiken, d'un emblème de la ville.
Bip. Bip. J'ouvris mon portable et m'enquis de l'identité de l'expéditeur du message.
« Tu ne réponds pas ? me questionna Kensei, l'air soudain suspicieux. Ses yeux étaient si froids qu'on les aurait dits fissurés comme des billes.
— Ce n'est pas la peine, bégayai-je. C'est un type de l'université qui me harcèle de messages. Il s'est auto-proclamé mon voisin d'amphi.
— Il t'embête ?
— Pas vraiment. Ce type est un invertébré cérébral.
— Il est insistant ?
— Il va bien finir par se lasser.
— Son nom ? Au cas où.
— Je ne m'en souviens même pas ! C'est pour te dire...! Je l'appelle le Yorkshire, en hommage à sa coupe de cheveux ! ».
Une fois rentrés dans mon studio, j'étais décidée à demander à Kensei pour quelle raison il n'avait pas déplissé le front et décroché un mot le reste du trajet.
Il était tendu. De la porte d'entrée, cela se voyait à son dos droit aux muscles contractés. Son cou tout entier était gonflé de tension.
Interpellée par ce refroidissement, je le rejoignis dans le coin chambre. Ses yeux partaient de gauche à droite sans que son regard parvienne à se fixer. Alors que j'allais ouvrir la bouche, il me devança.
« Ça ne colle pas. Qu'est-ce qu'on fait ensemble ? On est trop différents ».
Je me raidis, avec la sensation que mon cœur était remonté par ma gorge. L'instant d'après, mon corps fut parcouru de frissons. Kensei se planta devant la fenêtre adjacente à mon lit. Son expression était glaciale. Je commençai à avoir peur mais le laissai parler.
« Je savais que certaines filles avaient un penchant pour les mecs à problèmes... Dixit le barman du Black Stone.
— C'est pour ça que tu es catégorisé en délinquant ? ironisai-je en déboutonnant mon chemisier.
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Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit bras
General FictionDans ce deuxième tome, les liens entre les nintaïens et Lucie se fortifient, ce qui suscite l'inquiétude de certains. Alors que sa vision du Japon change progressivement, les rivalités au sein de l'établissement Nintaï s'intensifient. Lucie est écar...