7. Au pays du merveilleux

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[Narration : Lucie]

Après que j'eus composé le code de la résidence avec un temps de retard, Kensei m'épaula pour gravir les marches des escaliers. Il ouvrit la porte, la referma, reposa le trousseau de clés sur l'étagère, retira ma veste, la sienne, ses chaussures tandis que je détachai maladroitement les lanières de mes talons hauts. Je poussai un soupir de bien-être lorsque la plante de mes pieds se posa sur la terre ferme et plate.

Adossée au placard de l'entrée, je tentai de reprendre mes esprits. Avec Kensei dans la même pièce, je respirai encore plus mal. Il me souleva et me déposa sur mon lit, les jambes dans le vide.

Durant quelques instants vacillants, mes mains pendants au bout des bras, j'observai ma lanterne rectangulaire d'intérieur posée sur le sol. Je me vis aussi jaune et flapie que le papier de riz encollé de ma lampe et aussi trouble que la lumière qu'elle diffusait dans ma chambre.

Le timbre chaud de Kensei résonna dans la pièce : 

« T'es ivre. Je ne me suis pas vraiment occupé de toi. Désolé, j'aurais dû t'empêcher de boire autant.

— Le trajet à moto m'a fait du bien. Tout ce vent qui claque contre le casque... Mais on ne le refera plus dans cet état, hein ?

Okay, okay ». 

Il avait parlé à voix basse, penché sur moi pour déboutonner mon gilet. Je fus autant flattée que gênée qu'il se préoccupe de mon état. Je sentis la chaleur de sa joue, tandis qu'il semblait faire un effort pour ne pas s'attarder sur ma poitrine.

« Je vais bien, articulai-je.

— Tu t'es un peu amusée quand même ?

La question se répercuta contre les murs ou dans ma tête.

— Oui, j'ai compris plein de choses.

Se rendait-il compte que j'étais sur le point d'imploser ? C'était le moment ! Nous avions trop attendu !

Kensei soupira et lâcha :

— Si la rumeur t'atteint

La rumeur ? Pourquoi me parlait-il de rumeur, bon sang ? Comme s'il se doutait que j'avais laissé une partie de mon cerveau au Black Stone, Kensei m'aida :

— Tu ne te souviens pas de ce qu'on raconte sur toi ? Tu te serais envoyée Takeo pour obtenir sa protection à Nintaï. C'en est presque drôle parce qu'on sait tous que t'es pas son genre. Il me lança une œillade : M'enfin, j'ai passé une partie de la soirée à évacuer la rumeur.

— Merci.

Maintenant qu'il y faisait allusion, je m'échauffai. J'aurai voulu mordre dans quelque chose pour étouffer ma colère. A cet instant précis, le cou du colporteur de ragots aurait bien fait mon affaire.

— A ton avis, est-ce qu'on peut encore freiner cette propagation ? Ou est-ce que c'est trop tard ?

— Je ne sais pas si c'est trop tard, répondit Kensei. Mais à défaut de ne pas pouvoir faire taire les gens, on peut toujours leur trancher les oreilles.

Je sursautai, horrifiée, me coupant toute envie de réduire en miettes l'individu qui me taillait une sale réputation. Dans la bouche de Kensei, les menaces ne semblaient jamais proférées en l'air.

Il s'étonna.

— Je plaisantais. 

— Ah. Désolée, je...

Il passa une main sur ma joue et l'écarta aussitôt : 

— Ne t'inquiète pas, on va s'en charger et trouver la raclure qui en est à la source. Il soupira : Sors-toi ça de la tête. Il y a du nouveau sur le trafic de drogue.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant