47. Les défigurés

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Je me retrouvais seule avec Minoru. Son visage exprimait un accablement et une culpabilité sans fond. Mon opossum transgénique demeura là, raide comme un piquet, planté juste en-dessous du plafonnier. De ma position couchée, il me fit l'effet d'un lampadaire.

« Ne reste pas debout alors que je suis vautrée.

— C'est de ma faute si t'es dans cet état.

— Ne t'y mets pas, toi aussi ! Personne n'aurait pu prévoir...

— Ben si, justement.

— Je me sentirais mieux si tu t'asseyais ».

Il s'exécuta, tout en conservant sa rigidité. Minoru avait maigri, il était encore plus sec et nerveux qu'avant. Sa figure était ravagée. Il en avait pour au minimum un mois de rétablissement, pour retrouver une apparence correcte, pour que ses yeux à moitié clos par les coquards redeviennent deux grandes billes joyeuses et que son bras guérisse.

De longues minutes s'écoulèrent avant qu'il ne reparle.

« Je ne trouve pas les mots pour me faire pardonner. C'est moi qui t'ai emmenée au Maruschka... Quand est sortis dans la rue pour les suivre, j'aurais dû faire diversion pour que tu te sauves.

— Arrête... 

J'étais lasse d'avoir perdu le Minoru d'avant, celui qui n'en ratait pas une pour se moquer, le rire enjoué, la démarche sémillante. Dans son état normal, il m'aurait traitée de baleine échouée.

— Je n'ai même pas réussi à te protéger. Toi tu l'as fait. Le médecin t'a replacé des os, y compris l'omoplate . Celle qui s'est fait la malle quand le type t'est tombé dessus, pendant que t'étais allongée sur moi... Pour que je reprenne ma respiration.

C'était comme s'il avait vomi ces paroles. Je tournai la tête.

— Et toi, tu as combien de points de suture à ton arcade pour m'avoir épargnée les premiers coups ?

— Ça ne compte pas.

— Stop. Nous ne pouvons pas réfléchir comme ça. Je déglutis : J'ai cru que Juro t'arrachait le bras ».

La scène me revint : le craquement que je n'avais pas entendu, le sang sur le t-shirt et la bouche déformée de Minoru, ses yeux écarquillés par la douleur fulgurante, implorant Juro d'arrêter de s'acharner sur moi.

Il s'était produit quelque chose à ce moment, quelque chose qui m'avait instinctivement poussée à ramper en dépit de mon impuissance : je ne voulais pas le laisser souffrir seul. Ce quelque chose avait déclenché en moi un sentiment de fureur aiguë, au point de frapper Juro au visage, alors que je n'osais pas tuer les mouches. J'avais changé et cette transformation m'effrayait.

Minoru ne dit plus rien mais il déplia son bras libre et saisit ma main, de la même façon qu'il l'avait fait quelques semaines plus tôt dans le bus de la sortie scolaire. Le geste répandit une chaleur différente dans mon corps que celle de Kensei lorsque qu'il avait posé sa main sur mon front.

« Le principal, c'est que personne ne soit mort ou paralysé. Tu ne crois pas ? Tu es là, tu respires sans difficulté, il ne te manque pas de dents. Si tu souriais, tu serais presque beau » ajoutai-je.

Les lèvres de Minoru s'étirèrent en un mince sourire et ses épaules se détendirent. Néanmoins, il me regarda sans me voir. J'avais perçu la même expression dans les pupilles de Kensei. Je plongeai mes yeux dans les siens et y discernai le spectacle qu'il contemplait. Un doute m'assaillit et me coupa net la respiration.

« A quoi est-ce que je ressemble ? 

— A une gonzesse qui s'est fait rouler dessus par un train.

— Tu veux bien me mettre la fonction du miroir inversé sur ton portable ? S'il te plaît.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant