21. La petite voix

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Encore des paroles prononcées sous le coup de l'émotion !

Après avoir vidé mon sac, j'avais senti une boule de culpabilité envahir et pourrir ma poitrine. Elle s'était couplée avec une corde tressée de ronces qui s'étendait de ma gorge à mon bas ventre.

Comment déchiffrer un homme ? Comment comprendre un homme Japonais ? La difficulté était multipliée par dix. J'avais peut-être été un peu loin et n'avais désormais plus qu'un souhait : faire la paix avec Kensei. Mais je n'avais pas la moindre d'idée de la façon dont je devais procéder.

J'appelai Shizue, qui avait perdu sa belle tranquillité si caractéristique de sa personne. Au club de calligraphie, des frissons l'agitaient par intermittences, sinon elle demeurait languissante, les mains lasses et inoccupées. Le reste du temps elle soupirait en rêvant de Jotaro.

Sous l'impulsion de Minoru, les troisièmes années m'avaient proposé de les accompagner à une sortie à la piscine, offre que j'avais catégoriquement déclinée. Je redoutais de me retrouver devant eux en petite tenue et du remue-ménage que les nintaïens étaient susceptibles de causer dans ce lieu de détente. Nino m'avait tout aussi bien dissuadée en me glissant à l'oreille qu'il était déçu que je ne vienne pas, depuis le temps qu'il rêvait de voir à quoi une étrangère ressemblait lorsqu'elle coulait...

Nino... quel personnage ! Il était de loin le plus difficile à cerner d'entre les voyous de la bande et mettait tout en œuvre pour ne pas laisser de courant d'air dans son donjon de cynisme frigorifiant. Au début, il semblait m'avertir de son regard de faucille : « Si tu veux rester en vie, prends le parti de te taire. Boucle-là et apprends à glisser sur les murs ».

Paradoxalement, il avait pris l'initiative de m'adresser la parole lors du barbecue de début d'année. Nino était simplement insaisissable. Son attitude était très particulière et s'apparentait à celle d'un chat qui attend que la souris sorte de son trou. Mais ce chat-là n'était pas comme tous ses crétins de congénères qui restaient immobiles sans rien faire de productif à côté. Nino était sûrement du genre à guetter un peu pour comprendre sa proie, avant de se rendre à sa gamelle et grignoter un en-cas de croquettes. Lorsque le moment d'agir survenait, il sautait à la gorge de la souris, qui croyant connaître le comportement général des prédateurs, n'avait rien vu venir.

Peut-être devrais-je tenter de me rapprocher de Nino ? Non, ce serait pire que tout. En plus, je n'avais aucune envie de me faire couler.

En attendant, je ratais une occasion de me réconcilier avec Kensei, qui s'était renfermé sur lui-même. Au téléphone, Shizue me conseilla de lui préparer un repas : « Oui, tu comprends, les hommes aiment qu'on les nourrisse. Ça montre qu'on fait attention à bien s'occuper d'eux ».

Je me demandais si dans ce pays, certains hommes n'étaient pas machistes parce que les femmes se complaisaient dans ce rôle. Mais puisque Kensei semblait avoir été élevé selon les règles de la génération précédente, je comptais jouer la carte de Shizue, tout en restant moi-même. Avant de descendre l'escalier du toit pour retourner au secrétariat, j'avais fait signe à Kensei de me suivre dans la cage d'escalier déserte, l'avais plaqué dans l'angle d'un mur, encastré mes hanches dans les siennes et l'avais embrassé sans qu'il ait eu le temps de réagir. Lorsqu'il n'avait plus été en état de s'opposer à quoi que ce soit, je lui avais ordonné de venir dîner chez moi une fois qu'il serait rentré de la piscine.

Je dressai rapidement une liste de ce qui manquait : beurre, œufs, jambon, pommes de terre. Puis, je fonçai au konbini et bavassais quelques minutes avec le vendeur. De son éternel sourire scotché sur le visage, il me parla d'un ton léger en me guidant vers de nouveaux produits. Il s'interrompit au moment où une grand-mère se prit la porte vitrée du magasin dans la figure.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant