Le 20 juillet, jour d'Umi no Hi, je m'éveillai pleine d'entrain et de vigueur, avec ce genre d'humeur qui me prenait lorsque enfant, c'était le jour de mon anniversaire ou celui de Noël. Sous une moiteur accablante, Kensei passa me prendre à moto devant la résidence : il portait un jean délavé et son blouson en cuir qui soulignait sa belle carrure. J'aimais que Kensei s'habille avec ses propres habits et non avec le sombre uniforme de Nintaï. S'il avait saupoudré son allure d'un petit sourire, il aurait même pu paraître avenant.
Je me demandais s'il était normal de ressentir autant d'attirance physique pour quelqu'un : Kensei me fouettait le sang. Quand nous n'étions que tous les deux, loin du cadre de la violence quotidienne de Nintaï, les choses étaient un peu plus faciles, maîtrisables. Nous abordions toutes sortes de sujets. La discussion était aisée et dérapait allègrement sur des impacts de lèvres. En un clin d'œil, il m'avait réconciliée avec sa moto.
L'aquarium comptait huit étages au milieu duquel dominait un énorme bassin. L'idée maîtresse du lieu était de rassembler les écosystèmes de la ceinture de feu formant le pourtour de l'océan Pacifique. La foule était dense mais Kensei ne s'en inquiéta pas, me garantissant que la visite s'éclaircirait au fur-et-à-mesure de notre avancée.
Le circuit débutait curieusement par une ascension jusqu'au dernier étage, agrémenté de vues sur des bassins où jouaient des loutres, des pingouins et des phoques. Je me plantai face à ces derniers.
« Dis, tu ne trouves pas qu'ils ressemblent à Daiki ?
Kensei s'esclaffa et resserra ma main dans la sienne :
— Ouais, sauf qu'eux n'ont pas besoin de morphine pour avoir l'air crevé... Tu ne voudrais pas les photographier, histoire d'avoir une preuve ? ».
Nous nous dirigeâmes ensuite vers des flamants roses, pour les comparer à Ryôta et repassâmes par les araignées de mer cachées dans un coin, les groupes de crabes et les otaries.
Cet aquarium n'avait rien à voir avec les quelques poissons qui se serraient dans les petits bassins de ma ville natale. Et me promener en compagnie de Kensei dans cette merveille bleutée me transcendait de bonheur. Lui aussi paraissait ravi de la visite et s'extasiait devant chaque nouvel animal. J'avais l'impression de tenir à la fois la main de l'homme pour lequel je bouillonnais et celle d'un enfant surexcité.
Après une autre dizaine de mètres de couloir, nous découvrîmes les dauphins, joueurs, curieux, le regard brillant d'intelligence.
« Emmener une fille voir les dauphins est une valeur sûre, se félicita Kensei, un sourire victorieux dessiné sur ses lèvres ourlées.
— Détrompe-toi. Je préfère les gros squales !
Il se tourna vers moi et me considéra, une étrange lueur brûlant dans ses prunelles.
— Je savais bien que t'étais pas ordinaire... Mais là, je suis encore loin du compte, bougonna-t-il. T'es bizarre. Les dauphins sont quand même les animaux aquatiques les plus futés... ».
Je rétorquai que dans le palmarès, la pieuvre était classée juste derrière eux.
Il prit un air incrédule et porta son regard sur un autre bassin : « Mate un peu ces tortues ! C'est le Vieux tout craché ! ».
Kensei avait eu raison : si à l'entrée de l'aquarium les visiteurs s'agglutinaient devant les vitres, la foule était plus limpide au niveau du grand bassin des requins. Il y en avait pour dix-mille mètres cubes d'eau de différentes espèces qui évoluaient au-dessus des têtes.
Soudain, une ombre gigantesque éclipsa la lumière du tunnel aquatique : le requin-baleine était venu faire démonstration de sa magnificence.
Je songeai à mon rêve. J'en notais la progression dans un carnet. Sa suite était logique. Peut-être que l'écho entendu était celui d'un requin-baleine. Mais je n'avais pas souvenir que cette espèce chante et en y repensant, le cri n'était pas celui d'un cétacé. Qu'était-ce alors ? Je n'en avais pas la moindre idée.
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Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit bras
Genel KurguDans ce deuxième tome, les liens entre les nintaïens et Lucie se fortifient, ce qui suscite l'inquiétude de certains. Alors que sa vision du Japon change progressivement, les rivalités au sein de l'établissement Nintaï s'intensifient. Lucie est écar...