55. Aux premières loges

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[« Avant d'entrer à Nintaï, étais-tu déjà... Pas très conventionnel ?

Minoru sortit de sa poche un paquet de cigarettes et en alluma une.]

—   T'essayes de redorer mon blason ? Il ricana : Conventionnel ? Tu veux rire !

Minoru souffla la fumée par la bouche et le nez.

— Avant d'entrer à Nintaï, je n'étais déjà pas très conformiste. Ça, non ! C'est pareil pour les autres. Soit certains étaient des terreurs dans leur collège, soit leur fureur couvait et n'attendait que d'exploser. Ceux-là, Nintaï les a révélés, en quelque sorte. Mais je te retourne la question dans un autre sens, pourquoi, toi, t'as accepté d'y rester?

— Au départ, ce n'était pas mon intention.

— Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? Ne me réponds pas que c'est Kensei.

Il y a bien des manières de ne pas réussir mais la plus sûre est de ne jamais prendre de risques.*

— C'est ta réponse ? Même après ton séjour à l'hosto ?

— J'ai écouté mon intuition. En pratique, j'avais et j'ai toujours, besoin d'argent pour payer mes frais courants. Je ne me nourris pas en mangeant ma paperasse.

Minoru hocha la tête en marchant :

— La scolarité pour les Japonais, c'est... Ben du primaire à l'entrée de l'université, tu finis l'école vers quinze heures trente et ensuite tu vas aux cours du soir jusqu'à vingt ou vingt-deux heures. Après tu fais tes devoirs. T'as pas de vie quoi... Mais c'est un passage obligé si tu veux intégrer une bonne université. Je crois que pas mal de gens à Nintaï ont abandonné l'idée d'y entrer dès le collège.

Il demanda :

— Sans parler d'emploi du temps, est-ce qu'il y a une différence dans l'apprentissage entre les lycées français et japonais ?

— Absolument. La comparaison est difficile.

— Tu peux essayer, quand même ? interrogea-t-il, l'air sincèrement curieux.

— Si tu veux mon avis, c'est très lié à la culture. Au Japon, tu apprends par cœur, en France tu essaies de raisonner. D'un côté, tu favorises l'aspect collectif, l'apprentissage et l'amour de la connaissance, de l'autre, tu privilégies la réussite d'un seul individu, la compréhension, l'analyse et la philosophie. Pour s'équilibrer, il faudrait que les élèves Japonais apprennent à penser de manière autonome et que les élèves Français, eux, se penchent sur les bienfaits procuré par l'esprit collectif.

Minoru sourit en coin, l'œil pétillant.

— Quand même... T'as décidé de t'émanciper d'une drôle de façon. Partir comme ça de chez toi... T'adapter à un nouveau système... Je t'admire un peu, j'avoue. Toi aussi, tu refuses de laisser ta vie t'échapper.

Je cessai un instant de respirer : il avait raison. Mon cœur rejetait le risque. Mon corps, au contraire, le réclamait. Mon existence avait été si monotone jusqu'à présent ! Toute cette agitation nouvelle m'émoustillait. Osaka était pour moi une ville providentielle, idéale pour assouvir mes besoins de bouillonnements.

Des frissons, j'en voulais à tous les étages, afin de les repousser ensuite et ne les accepter que par petites vagues, pour mieux les savourer et m'en accommoder. Kensei, lui, prenait tout d'un coup. Le risque, le danger. Peut-être était-ce l'appât qui m'avait fait rester à Nintaï. Je voulais observer la suite des évènements. Aux premières loges.

Je soupirai pourtant.

— Il n'empêche... S'il faut reconnaître que Nintaï est un établissement qui fait exception, je n'imaginais pas que la violence en milieu scolaire pouvait atteindre de tels degrés. Regarde l'exemple de Yuito et d'Okito : en plus de lui luxer l'épaule, il lui a bousillé la clavicule ! C'est quand même malheureux d'en arriver là.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant